« Le rêve extraordinaire d'une vie ordinaire. » Sérieusement ? Plutôt le slogan ordinairement trompeur d'un film extraordinairement en deçà de ce que l'on pouvait espérer. Albert Nobbs est une femme qui depuis ses 14 ans se fait passer pour un homme, afin de fuir un passé traumatisant. L'actuel métier d'Albert, serveur au sein d'un prestigieux hôtel de Dublin, lui permet de réunir un pécule dans l'espoir d'ouvrir une boutique de tabac et de couler de beaux jours aux côtés de la petite soubrette dont elle vient de s'amouracher. Mais lorsqu'un nouvel homme à tout faire se fait embaucher à l'hôtel, rien de va plus : il séduit non seulement la soubrette, mais projette avec elle de dépouiller Albert Nobbs pour partir en Amérique...

Albert Nobbs, produit et interprété par Glenn Close (qui s'est investie corps et âme depuis 1982 pour concrétiser son projet sur le grand écran), nous propose un sujet pas banal, à savoir la confusion des sexes et le trouble identitaire dans l'Irlande du XIXème siècle. Autres temps, autres mœurs. L'intrigue prend place à une époque où l'idée même d'homosexualité rimait avec le plus profond des dégoûts. Mais là où l'on se serait attendu à une mise en scène fiévreuse, épousant les tensions inhérentes au travestissement du protagoniste et explorant ses états d'âme en permanence contrariés, Rodrigo Garcia et son scénariste Istvan Szabo nous livrent une fiction particulièrement timide, étonnamment lisse et sans relief, dont le rythme presque neurasthénique nous plonge souvent dans un profond état d'ennui. La faute à une peinture trop superficielle et fort peu attachante des personnages, dont on ne contemple que la surface, Albert elle-même apparaissant comme une poupée de cire sans cesse inaccessible, malgré la métamorphose inquiétante et saisissante de Glenn Close. Morne galerie de caractères relevant de purs clichés du genre (la soubrette mignonne mais cruelle, le mauvais garçon, le bon docteur...), de seconds rôles fantomatiques. On retiendra de ce drame tiède, qui ne fait qu'amorcer des bouts d'intrigues et de sentiments sans jamais les mener à termes, la beauté crépusculaire de la photographie (conférant aux images une atmosphère délétère qu'on aurait tant aimer ressentir à un niveau dramatique), le soin admirable – presque maniaque – apporté à la confection des costumes et des décors (reconstitution crédible de Dublin au XIXème siècle), ainsi qu'une paire de dialogues savoureux échangés entre Albert et Hubert Page, autre femme travestie en homme dans laquelle Nobbs semble trouver un alter ego.

Mosaïque frustrante de destins contrariés, de passions frustrées et de rêves brisés, Albert Nobbs abîme malheureusement le potentiel pourtant bouillonnant de ses drames dans le regrettable académisme de sa construction. Un bel objet visuel, certes, mais qui ne touche que trop rarement pour marquer les esprits. A l'image d'Albert, contemplant avec un regard d'enfant rêveur l'échoppe abandonnée qu'elle veut s'offrir, on se prend à rêver nous aussi du souffle salutaire qui aurait pu faire de cette fresque, seulement à moitié vivante, un grand film.
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le 22 févr. 2012

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