Analyse : une réflexion sur l'image
Bien avant son chef-d'œuvre nommé Les Ailes du Désir, en 1987, le réalisateur allemand Wim Wenders sort, en 1974, Alice dans les villes, un roadmovie en noir et blanc traversant les États-Unis, les Pays-Bas et l'Allemagne. Salué comme un des artisans les plus sérieux du renouveau du cinéma des années 70, Wim Wenders, avec Alice dans les villes, est un cinéaste à la fois suggestif, parce qu'il utilise beaucoup de symboles et de détails dans ses plans, et en même temps terriblement humain, grâce à des personnages atypiques et attachants.
L'histoire commence avec Philip Winter, un journaliste allemand qui doit s'occuper d'écrire un article sur le paysage américain. Déshumanisé, il se perd totalement dans un oubli de soi et se cache à travers des photographies qu'il prend au fur et à mesure de son voyage. N'ayant plus d'argent, il doit regagner l'Allemagne au plus vite mais, à l'aéroport de New York, on lui annonce que tous les vols sont annulés en raison d'une grève mais qu'il peut prendre un vol en direction des Pays-Bas. Entre temps, il fait la connaissance de Lisa et de sa fille Alice qui doivent, elles aussi, prendre le même vol. Ils décident d'attendre ensemble. Le matin suivant, la jeune mère laisse une note à Philip dans laquelle elle lui prie de bien vouloir emmener sa fille à Amsterdam où elle les rejoindra le surlendemain. Arrivés là-bas, Philip et Alice attendent en vain Lisa. Ils vont d'abord se remettre à la recherche de la grand-mère d'Alice, puis demander l'aide de la police et partager ainsi un voyage existentiel d'errance et d'espoir.
« Alice dans les villes » est un film empli de signes et de symboles reflétés à travers l'image que l'on retrouve, par exemple, dans la photographie, les affiches publicitaires, la télévision, les cartes routières, les jumelles et les miroirs. L'utilisation la plus évidente de l'image se trouve au sein des photographies, reflet des états d'âme, que prend le personnage principal, Philip Winter, pour lesquelles il aime, au début du film, les comparer à la réalité ou, plutôt, à chercher à se connaître ou se reconnaître à travers la réalité. Au départ, donc, Philip est dépossédé autant de soi que des autres, bien qu'il s'appuie sur un complexe narcissique en ne sachant pas écouter les autres mais en s'écoutant soi-même parler. D'ailleurs, coupant la radio de sa voiture brusquement, il dit « je n'ai jamais écouté jusqu'au bout ». Aussi, lorsqu'il rend visite à son amie allemande, Philip lui parle mais cela s'avère être incommunicable. La scène filmée en champ/hors-champ va appuyer tout le problème de la communication. Ainsi, durant la première partie du film, nous avons affaire à un homme seul, déambulatoire, vivant en décalage avec la réalité qui l'entoure. Cette notion est fortement représentée lorsqu'il se trouve à l'hôtel : il est étendu sur le lit, en premier plan nous avons la télévision, représentative de l'inhumain selon Philip et donc de l'irréalité, est allumée, face à la fenêtre de laquelle nous pouvons apercevoir la ville et ses lumières en second plan. Cette opposition représente celle qui va définir la réflexion du film : le réel, c'est-à-dire les autres, et la fiction, c'est-à-dire l'image. De plus, on sent un autre point de vue important du film qui est le sentiment de vide qu'un homme puisse ressentir, relevant de l'existentialisme – notion philosophique qui sera présente tout au long du film. Philip, à ce moment du récit, cherche quelque chose mais ne sait pas quoi. Il parcourt l'ailleurs et c'est avec l'arrivée d'Alice que son monde d'égoïsme et sa recherche d'identité vont être bousculés. Il va tout doucement apprendre à écouter les autres.
Alice est une représentation de l'enfant en tant qu'être spontané qui demande à être écouté et entendu. La rencontre entre elle et Philip va bouleverser ce dernier car Alice est une accroche au monde réel. Le personnage – et l'actrice même, d'un naturel sans faille – est incroyablement irrévérencieux, impudique mais, surtout, attachant. C'est l'élément simple de ce monde d'adultes en mal de vivre – l'amie allemande (« Je ne sais pas non plus comment il faut vivre »), Lisa et Philip. Son innocence enfantine fait qu'Alice ne possède pas une dimension de temps, contrairement à Philip qui voit dans les photos le temps qui passe. Elle dit que « c'est une belle photo, tellement vide ». L'instant déclencheur où la réalité entre dans la photo et donc dans le monde de Philip survient lorsqu'Alice prend une photo de lui « pour savoir de quoi tu as l'air ». La finalité de la réalité qui rejoint la photo advient au moment où Philip et Alice trouvent enfin la maison de la grand-mère de cette dernière, grâce à une vieille photographie – qui aurait dû, à la base, faire figure d'une image du passé mais qui, là, est donc une entité du présent.
En somme, le film est très puissant dans l'utilisation des images et de la réflexion qu'elles supposent et de ce qu'elles vont apporter à l'humain, c'est-à-dire aux personnages. Les deux parties, la première représentant l'égoïsme de Philip et la deuxième, où Alice apparaît à Philip pour devenir une partie de lui-même, venant briser son monde d'isolement, et bientôt être une notion d'autrui tout à fait exacte et dans laquelle Philip abandonne son égoïsme, ne font qu'appuyer cette réflexion de l'image que Wim Wenders a développée avec brio.
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