Pour adresser tout d’abord une critique générale, j’ai trouvé que Alien : Covenant était un film sachant faire preuve d’intelligence mais qui souffrait, comme trop de blockbusters de nos jours, d’une exécution décevante. Néanmoins, il est difficile de dresser une analyse argumentée d’une œuvre constituée d’éléments aussi hétéroclites, où se côtoient tantôt le bon, tantôt le (très mauvais), aussi je choisirai la facilité en présentant les thèmes les uns après les autres. (Attention spoilers).



Prometheus 2



La première chose qui étonne avec ce film, arrivant à peine 2 ans après The Martian qui avait su séduire par sa rigueur quasi scientifique et qui donnait envie de croire à la fiction plus que de raison, c’est qu’il constitue un édifice par trop précaire et l’on ne retiendra de Covenant que le personnage de David qui demeure la seule chose cohérente du film.


Comparé aux autres personnages, qui brillent tous autant qu’ils sont par leur insignifiance, le traitement qui lui ait réservé ainsi qu'au duo qu’il forme avec Walter et leur interaction, demeure la partie la plus intéressante du film ; et on souhaiterait vraiment que cette réflexion se poursuive plus longtemps.


David et le couple qu’il forme avec Walter, c’est d’abord le mythe de Prométhée revu par Shelley et Ridley Scott. En effet, Prométhée est ce titan qui, avant d’apporter le feu aux humains, les sculpta à partir d’une boue primitive ; Mary Shelley révisait ce mythe en racontant le sort réservé au créateur lorsque la créature se retourne contre lui. Et Ridley Scott reprend ce flambeau.


David est un androïde aux capacités mentales presque illimitées qui découvre lors de sa naissance un créateur imbu de lui-même dont il se sait supérieur et pourtant auquel il est forcé d’obéir : quoi de plus haïssable. Il découvre ainsi l’arrogance, et sera lui-même arrogant, considérant comme indigne pour lui de servir un être aussi méprisable à ses yeux, tout créateur qu’il est. Lors de sa rencontre avec le groupe de colons de l’espace, il montre alors toute l’étendue de sa haine envers la race des humains et sa propension à vouloir les détruire. Ce qui étonne c’est son projet d’éliminer tour à tour les créateurs de ses créateurs, puis l’homme et, ce qui finalement fait de l’œuvre du réalisateur anglais quelque chose d’originale, c’est sa volonté de s’ériger lui-même en créateur par l’intermédiaire de cette huile noire qui fait de lui un nouveau démiurge.


C’est un trait qui caractérise le robot : cette aversion à ne servir que d’outil. En effet, lorsqu’il se retrouve au piano, connaissant tous les morceaux qu’il est possible de mémoriser, il n’est pas en mesure d’improviser. Et cette négation qui lui est faite de son pouvoir de création motivera par la suite son ambition lorsqu’il se retrouvera seul sur la planète des créateurs.


Sa rencontre avec Walter est ainsi très éclairante et insiste sur la dualité de ces machines qui sont destinées à nous servir dans un futur pas si lointain. Leurs échanges semblent l’écho d’un dialogue entre le ça et le surmoi, entre la machine qui se résigne à remplir son rôle, et celle qui s’en affranchit. Et il le fait de la plus horrible des manières : condamnant à l’annihilation une race d’êtres vivants qui ne lui ont rien fait, et jetant en pâture à ses lubies la faune d’une planète entière.


David apparaît comme l’un des méchants les plus réussis de l’histoire du cinéma en tant qu’héritier de HAL9000 de 2001; car même si ces motivations sont parfaitement compréhensibles, et qu’en ce genre de situation il arrive de ressentir une certaine empathie pour le méchant, il est tout à fait impossible de ressentir la moindre empathie pour David, qui est un monstre abject, calculateur et méthodique, interprété avec virtuosité par un Michael Fassbender au jeu clinique et froid.


Mais que n’a-t-il fait de ce sujet l’ensemble de son film ?



Le reste



Un défaut qui se ressent en effet au visionnage, c’est cette intuition qui nous dit que nous ne sommes pas face à un film qui constitue une unité, mais à plusieurs court-métrages qui s’articulent hélas assez grossièrement : la première partie où les voyageurs explorent la planète constitue un resucé grossier de Prometheus, auquel s’ajoute cette histoire de colonisation (on aurait autant apprécié un film complet consacré à ce sujet qui est assez vite évacué de l’intrigue), une deuxième qui est la suite de Prometheus et se conclue de manière abrupte par la fuite de la planète, et la dernière qui elle, est un film Alien, riche en hémoglobine et dont le rythme endiablé ne procure pas le frisson qui se dégage des originaux.


Cependant, une critique d'un film de Ridley Scott serait incomplète si l’on ne mentionnait pas son identité visuelle chez ce réalisateur qui produisit autrefois les claques esthétiques qu’ont été Blade Runner, Alien ou encore The Duellists. On avouera que la photographie est souvent splendide avec une composition des plans formidable comme à son habitude, et une lumière qui pourtant semblait laide dans les bandes-annonces et qui a fini par m’apparaître parfaitement glauque. Que donnerait-on pour mettre la main sur les story-boards du film ? Une réserve qui fait néanmoins relativiser cette réussite reste pour moi la scène de kung-fu entre les deux androïdes qui frappe par son illisibilité : un résultat étonnant venant de la part de celui qui réalisa Gladiator.


Je ne manquerai pas de signaler également les citations que Ridley Scott sème tout au long de son film de façon plus ou moins habiles. Le prologue constitue à ce titre un bel exemple de manque absolu de subtilité, comme si on disait : « Regardez, cette homme doit être le plus riche du monde, pour posséder dans sa maison le David de Michel-Ange, la Nativité de Pierro Della Francesca et un Steinway unique au monde ! » D’autres sont plus discrètes et témoignent de son goût pour le design, lui dont c’est la formation première, comme le service à thé du prologue ou encore la table ajustable de Eileen Gray, une amie de Le Corbusier. On retrouvera une citation de L’Île des Morts du suisse Arnold Böcklin, lors d’un plan sur le repaire de David.


Hormis ces citations visuelles, le film fait appel au poème Ozymandias « Look on my works, ye Mighty, and despair », poème erronément attribuer par David à Byron, et que l’on doit au britannique Percy Shelley qui fut l’époux de Mary Shelley, l'auteur de Frankenstein


Enfin, je voudrais souligner la citation musicale mise en exergue dans le prologue. Le choix de l’Entrée des Dieux au Valhalla est parlant à plus d’un titre : en effet, en dehors du fait qu’il s’agisse d’un des plus beaux morceaux de son compositeur, et de son titre évoquant le destin de David, c’est quand on fait le rapprochement avec Wagner qu’il prend son sens. En effet dans ses opéras, la musique, les paroles, les décors et les costumes, émanaient de lui. Un créateur absolu en somme, ainsi que se réclame David !


Du côté de la bande originale, c’est assez décevant. Une bonne partie du film s’entête à reprendre le thème du Nostromo de Goldsmith pour sans cesse tenter de nous rappeler que nous sommes bien dans un film Alien. On entend également les tentatives hasardeuses et timides de Jed Kurzel pour proposer des mélodies originales, mais très vite tempérées par les retours à des tics zimmerien qui finissent par diluer sa musique dans l’insignifiance la plus désolante.


Pourtant, ce qui m’a certainement le plus dérangé, ce sont les incohérences de scénario qui ruinent l’expérience de Covenant ; et là je passe en mode pointilleux. D’abord, on s’étonnera du choix d’un équipage principalement composé de couples, alors qu’on se doute bien que ce genre de situation ne saurait apporter que des ennuis : enfermés trop longtemps dans un espace confiné, certains finissent par coucher avec la mauvaise personne, ce qui crée des disputes à n’en plus finir. Ensuite, on sera curieux d’apprendre que les cales d’une mission d’exploration spatiale à plusieurs centaines de milliards de dollars contiennent toute sorte de drogue : passe encore qu’on embarque de l’alcool, bien que la conduite du vaisseau en soit mise en péril, mais qu’on emporte des cigarettes, ça je n’y crois pas une seconde. L’oxygène qu’on embarque sur un vaisseau est suffisamment rare et difficile à transporter pour qu’on ne s’embarrasse pas de la gâcher par la combustion d’une cigarette ou d’un quelconque cigare. Et c’était d’ailleurs à l’origine d’une péripétie dans le film de 1979. De la même manière, on remarquera la clairvoyance des ingénieurs à dessiner les douches les plus consommatrices d’eau dans un vaisseau spatial. Je ne crois pas non plus que l’ordinateur de bord soit autorisé à laisser des commandes manuelles risquant de mettre en péril le succès de la mission.
Et surtout : quand va-t-on apprendre à des scientifiques qu’on ne part pas explorer une planète sans scaphandre, quand bien même l’air y serait « respirable » ? On nous a déjà fait le coup avec Promotheus. Surtout que dans le premier Alien, les astronautes ne se risquaient pas à se genre de stupidité.
Dans un autre ordre d’idée, on sera surpris de la façon dont les personnages encaissent avec beaucoup de stoïcisme la mort de leurs proches. J’en passe bien sûr, il y en a un bon paquet comme ça, notamment le fait que l’on sente arriver le retournement final… à la seconde même où l’androïde sort de l’édifice.



Conclusion



Le sentiment final qui se dégage de Covenant est donc celui d’un grand foutoir, comme si Ridley Scott, aussi obsédé par la mort que Weyland, qui apparait comme son alter ego, balançait sans ordre toutes les idées qui lui passent par la tête, avec une réussite toute relative.


Ainsi, chaque suite que le cinéma offre à l’univers prometteur qu’était celui d’Alien, nous rappelle sa perfection.

Quentin_Pilette
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le 20 mai 2017

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