La sortie est passée, les cendres se sont dispersées, le verdict est tombé : comme prévu, la suite de Prometheus, lui-même dézingué à la sortie, ne serait qu’une merde sans nom d’un réalisateur grabataire qui n’aurait plus rien réalisé de bon depuis (au mieux) Gladiator. Au-delà de cette unanimité intrigante qui a condamné un film avant sa sortie, attachons nous à voir les reproches faits à Alien : Covenant pour y dégager, si ce n’est une réussite totale, un traitement intéressant d’une mythologie en mouvement qui s’inscrit dans la démarche globale de son auteur. Garanti avec des pépites de spoiler.


Le principal reproche fait au long-métrage est de ne pas être un film Alien. C’est bien normal, ce n’est pas l’intention de Ridley Scott, qui entend recomposer une nouvelle saga, qui reprend certains codes de sa mythologie pour l’emmener ailleurs. Il estime, d’une part, que l’intérêt d’étendre Alien, auquel il n’a participé qu’au premier épisode, est de répondre aux questions laissées en suspens par le premier film, et pas autre chose, à savoir : qui est le space jockey, d’où viennent les aliens, comment ont-ils atterri sur LV-426, comment se sont développés les androïdes ? Pas de faire continuer la saga Ripley, la suivre sur son retour sur une terre dévastée, etc etc. Des huis clos spatiaux avec un ou plusieurs aliens, des métamorphes, des nageurs, le tour a été fait lors des quatre premiers opus. A la base, Ridley Scott ne voulait pas faire non plus apparaître le xénomorphe dans ce Covenant. Ainsi, Scott l’amène sur des grands espaces, développe de nouveaux designs. Explore, expérimente, s’entêtant à ne pas faire le film que tout le monde attend. Et tant mieux.


D’où son idée de reprendre « l’ADN d’Alien » pour l’emmener ailleurs, d’où l’acte fort et fondateur de son nouveau cycle de se débarrasser du mot Alien pour Prometheus. La couleur était annoncée, et le réalisateur de Blade Runner (nous y reviendrons) décide d’aller à fond dans cette voie, sans concessions, quitte à laisser les fans d’Alien venus voir une nouvelle déclinaison de l’idée originale sur le carreau (ils ne lui pardonneront pas). A 79 ans, il estime ne plus avoir de compte à ne rendre à personne, et entend reprendre le contrôle de sa créature. On perçoit le sentiment de revanche qui l’habite, lui qui s’en est fait dépossédé pour Aliens, Alien 3 et Alien, la résurrection. Il n’oublie pas pour autant de rendre hommage à ses prédécesseurs : Aliens et sa scène finale où la bête est abattue par l’héroïne féminine sur le quai de chargement des véhicules, Alien 3 et le développement animal du xénomorphe, et surtout Alien, la résurrection et ses créatures dérangeantes, expérimentales, dépassant largement le cadre du malsain.


A noter qu’il est aussi dans la quasi continuité de la tradition d’Alien de « tuer » le travail de ses prédécesseurs : Cameron transformait un film d’horreur claustrophobique en film d’action SF décalquant la guerre du Viêtnam, Fincher commençait son film en assassinant le dernier personnage introduit par Aliens (Cameron lui en voudra à mort), Jeunet ressuscitait Ripley et annihilait le climax d’Alien 3 tout en limitant la possibilité d’une suite avec la vision finale d’un retour sur une Terre ravagée par l’Apocalypse. En cela, Scott se situe finalement dans la lignée de la saga.


Le second écueil serait le manque d’attachement aux personnages humains. Cela parce qu’ils sont trop nombreux et font des erreurs stupides. Si l’équipage compte en effet sans doute trop de membres et semble parfois servir de chair à canon, leur comportement est surtout trop humain (après tout) : ils réagissent à l’émotion, dans la panique, sont trop curieux, et égoïstes. Cela pour mieux refléter leurs défauts face à d’un côté, la perfection biologique, le xénomorphe, à l’instinct redoutable, image du prédateur ultime ; de l’autre les androïdes immortels, à la mémoire sans faille, qui apprennent instantanément, au potentiel infini, limités seulement par la castration des humains qui les empêchent de créer, d’avoir de l’estime de soi. Ces deux faces d’une même pièce s’alliant, n’étant pas le prédateur l’un pour l’autre, mais pouvant vivre en symbiose, comme une anémone et un poisson clown.


Le personnage principal du film, le héros, est toujours celui qui prend des décisions : ici, c’est David, qui ouvre et ferme le film. L’intelligence artificielle, autre marotte de Sir Ridley Scott depuis ses débuts, semble découvrir son humanité sans filtre car sans cadre, d’une façon toujours excessive et absolue : l’estime de soi devient de l’amour narcissique, la recherche scientifique devient une obsession de destruction créatrice, l’empathie se transforme en une passion violente qui pousse au viol meurtrier (presque incestueux vu le rapport mère/fils développé avec le Dr Shaw qui le recrée), la découverte d’émotions pour se concentrer en sadisme. La perfection de son cortex, de ses mouvements, de son corps immortel est corrompu par sa volonté de devenir un homme (donc un Dieu), ou plutôt ce qu’il en imagine, et sa volonté de revanche sur ses créateurs qui l’ont toujours mésestimé. Le climax du film est d’ailleurs bien plus le combat Walter/David que n’importe quelle confrontation avec l’Alien, que ce soit par l’établissement de la tension et des enjeux avant le combat ou les conséquences finales de cette confrontation (la perte de tous les colons). Ce n’est pas l’Alien mais les androïdes qui intéressent Ridley Scott, renvoyant à l’indépassable Blade Runner. Il ne faut pas d’ailleurs chercher bien loin les références visuelles : David se fait clouer, Walter se fait exploser la main, on doute de l’identité de l’androïde, qui vit reclus…


En fait, l’ultime reproche fait à Alien : Covenant est de ne pas être un film d’horreur. De fait, celui-ci se déplace sur un autre plan, bien plus métaphysique : la peur de se faire dépasser par sa propre création et l’absence de réponses sur nos origines, résumées dans la scène d’introduction où Weyland dialogue avec sa création. La crainte d’une absence de raison derrière le début et la fin de notre espèce, d’une part la création par les ingénieurs : et si, comme David le suggère dans ce qui reste probablement le meilleur dialogue de Prometheus, ils nous avaient créé juste parce qu’ils le pouvaient ? La cruauté froide de David qui extermine ces derniers, dans une scène apocalyptique d’un rare nihilisme, et semble vouloir faire de même avec les humains sous le même précepte nous terrifie en définitif. On croit presque entendre Ian Malcom au moment du plan magistral où le liquide noir s’abat sur la planète Paradise : les ingénieurs créent l’homme. L’homme crée les androïdes. Les androïdes tuent les ingénieurs.


Toute l’œuvre de Scott est traversée par l’idée de la création et des origines, thématiques qui se rejoignent ici. Lui aussi veut laisser une trace, et veut s’approprier une licence dont il n’était pas le maître en l’éloignant de la quadrilogie originale : ce n’est pas elle qui dicte son ambition, malgré sa peur de la voir s’échapper. Il est David qui crée en même temps qu’il détruit. Le réalisateur, en citant Ozymandias, a en même temps conscience qu’il est présomptueux de croire qu’on est plus fort que le temps.


Critique publiée originellement sur rockyrama.com


http://rockyrama.com/super-stylo-article/alien-covenant-ridley-scott-reconnaitra-les-siens?utm_content=buffer9408a&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer

Boris_Biron
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le 18 mai 2017

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