Dans Alien premier du nom, Dan O'Bannon et Ronald Shussett racontaient l'éternelle histoire du loup dans la bergerie ; leur récit était simple et direct, mais enrichi par une thématique sous-jacente, celle du viol. Aidée par l'univers et la créature inventés par Giger, cette connotation sexuelle faisait d'un petit slasher spatial une oeuvre viscérale, surprenante et dérangeante.
La thématique du sexe traversera toute la quadrilogie originale, où chacun des réalisateurs donnera sa vision et son approche qui lui est propre. Cameron évoquera la maternité, Fincher le plaisir et l'animalité, et Jeunet l'ambiguïté. Le parcours de Ripley était celui d'une héroïne moderne, femme terrifiée mais courageuse, mère adoptive, embrassant sa sexualité comme un soulagement, puis comme une force, là où les hommes n'étaient que des proies, pénétrées à l'envi et porteuses d'embryons mortels. Chaque film de la saga était unique et distinct, leurs réalisateurs respectifs donnant une couleur personnelle à l'univers de Giger, qu'il s'agisse du souvenir douloureux de la guerre du Vietnam ou de la crainte des dérives du clonage.


Avec Prometheus, Ridley Scott donnait naissance à un film bâtard, pétri d'incohérences, qui s'intéressait à la question de la création en soumettant l'hypothèse que l'humanité avait été façonnée par un peuple extra-terrestre. Le lien avec Alien était forcé, maladroit, et l'on sentait que les scénaristes eux-mêmes ne savaient pas comment relier leur histoire d'Ingénieurs à la mythologie de la saga.


Arrive alors cet Alien Covenant. On nous promet de nouvelles créatures, mais aussi le retour du xénomorphe tant chéri par les fans. Cette fois, Ridley Scott poursuit son thème de la création, avec moult symboles religieux dont la lourdeur ferait passer Man of Steel pour un modèle de subtilité, tout en jetant purement et simplement aux orties la trame des Ingénieurs, pourtant au coeur de Prometheus et laissée en suspens à la fin de ce dernier. Dans Alien 3, David Fincher tuait brutalement les compagnons de Ripley pendant le générique d'ouverture, ce qui n'a pas manqué de fâcher les fans du précédent opus. Mais cette mort soudaine a bel et bien des conséquences sur Ripley et le spectateur. Fincher permettait alors la transformation de son héroïne en martyr (ce troisième opus se déroulant dans un Enfer métaphorique) et annonçait aux spectateurs sa vision nihiliste et pessimiste que l'on retrouvera dans sa future filmographie (il a notamment enchaîné avec Seven...).
Ici, en exterminant les Ingénieurs en une seule scène (pire, un flashback), Ridley Scott esquive toute réponse aux questions posées à la fin de Prometheus (qui n'aura donc servi à rien) et se forge une excuse pour introduire une nouvelle créature, le Néomorphe, qui disparaît à la moitié du film, et expliquer l'origine de l'Alien que nous connaissons tous.


Donc, David a créé la race des xénomorphes. Comment ? On l'ignore. Aucun plan, aucune ligne de dialogue pour expliquer comment un androïde rafistolé a pu concevoir une douzaine d’œufs de xénomorphe.
Quid de la Reine, introduite au sein de la saga il y a trente ans et entérinée comme source des œufs dans Alien Resurrection et Alien vs Predator ? Nada.
Et le chestbuster, forme larvaire de la créature à l'aspect très phallique ? Il est remplacé par un mini-alien aux bras et jambes filiformes. Pourquoi ? Pour un plan ridicule du petit Alien imitant son créateur, les bras en croix.


Non, faire revenir la créature culte au mépris de la mythologie et des règles établies depuis quarante ans ne fait pas un film Alien.
Non, installer paresseusement un quatrième acte poussif ne fait pas un film Alien.
Non, avoir une héroïne brune sans soutien-gorge ne fait pas un film Alien.
Non, utiliser la musique de Jerry Goldsmith n'importe quand ne fait pas un film Alien.
Non, faire référence au premier film ne fait pas un film Alien.
Non, voir des personnages sans la moindre personnalité autre que leur statut marital se faire charcuter parce qu'on a reproché à Prometheus de ne pas faire assez peur, ça ne fait pas un film Alien.
Non, faire attaquer le monstre lors d'une scène de sexe sous la douche, ça ne fait pas un film Alien.


Dire que les xénomorphes ont été créés par un humanoïde pour éradiquer la race humaine, c'est insulter l'infinité de l'espace. Alien rappelait que l'Homme n'était peut-être pas la seule espèce dans l'univers, ni même la plus forte, un point minuscule dans l'immensité de l'évolution ; son monstre de fiction était aussi mystérieux et effrayant que le véritable cosmos qui nous entoure, et en cela il représentait le dogme socratique "Je sais que je ne sais rien", ultime leçon d'humilité s'il en est. Alien Covenant, au lieu de profiter des innombrables possibilités que peut offrir un récit de science-fiction, s'embourbe dans un déterminisme humano-centriste. Alien était un film sombre. Alien Covenant est un film obscurantiste.

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le 5 juin 2017

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