Plus qu'une résurrection

Je craignais ne serait-ce que la première ligne du scénario. Eh bien oui, certes, il y a dans ce film quelques éléments à la frontière du ridicule. Mais quelle bouffée d’air frais dans la saga Alien !
Alien, ce sont quatre films, par quatre réalisateurs aujourd’hui incontournables. Chacun a sa patte – Cameron étant sans surprise le plus plat, à mon humble avis ; Fincher étonnamment efficace pour un premier film. Mais ce sont des pattes légères, que l’on peut aisément feindre d’ignorer. Une réalisation qui se met avant tout au service d’un scénario plus ou moins efficace. Chez Jeunet, cependant, il y a bien plus que ça : il y a toujours eu bien plus que ça. La réalisation n’est plus un outil, mais un langage propre, une dimension parallèle à l’histoire du film.
D’abord, ce petit excès qu’on lui connaît si bien. Mais loin d’être lourd (même si on est parfois en droit d’avoir quelques doutes sur le « nouveau » personnage de Ripley), il est acidulé. Relativement au reste de son œuvre (et en particulier ses collaborations avec Caro !), Jeunet reste d’ailleurs sagement mesuré, conscient sans doute que le film ne se prête à la fantaisie que jusqu’à un certain point. Il n’en parvient pas moins à faire preuve d’une créativité qui frappe toujours où on ne l’attend pas.
Après les oppressants films de Fincher et Scott (et la préfiguration musclée d’Avatar qu’est la version de Cameron…), Jeunet vient apporter une palette de couleurs un peu plus vives à la saga. Une ambiance plus « sympathique », un humour bien présent, un rythme plus soutenu avec son lot de révélations et de mutations glauques. Et quelques très belles scènes de ballet aquatique et d’amour maternel… (oui, bien sûr en version délétère, c’est Alien tout de même !). A noter également que c’est la première fois qu’il y a plus d’un personnage secondaire vraiment intéressant ! Le tout pour une atmosphère beaucoup moins homogène.
Et pour ceux qui comme Golic (du troisième film) ou moi se sentaient un peu frustrés de n’avoir pu jeter un coup d’œil plus appuyé aux xénomorphes, il y a là de quoi étancher sa soif ! Vous allez cette fois avoir l’occasion d’admirer longuement leurs courbes racées. Et même plus. Car ce film vient enrober l’alien d’une couche d’étrangeté supplémentaire, n’en faisant plus simplement une machine à tuer, mais renvoyant à l’horreur à proprement parler qui est celle de la dénaturation et de l’avilissement de la chair. Il y a des vrais bouts de body horror dedans. Et un nouvel alien d’autant plus angoissant qu’il est incompréhensible dans ses instincts.
Le film, en vérité, prend dans son traitement une tangente plus fantastique que ses prédécesseurs (bien que nous ayons toujours affaire à de la SF en règle), et ce choix audacieux semble avoir permis la libération de nouvelles pistes, de concepts bouillonnants – mais un peu honteux ? – qui n’attendaient que d’éclore. Éclore en vampirisant leur hôte, certes. Je peux bien comprendre que les adeptes de la saga Alien soient déçus par cet opus. On ne va pas se mentir, bien que tous les films soient bien différents les uns des autres, celui-ci se démarque tant que c’en est presque un viol. Mais après trois films, n’était-il pas temps ?
Dans la lignée qui est la sienne, ce film a tout pour être aimé ou être détesté. It’s your call. Mais une chose est certaine, au moins : il apporte un renouvellement. Sans aucun doute, Alien : La Résurrection est à voir pour son innovation, mais il est primordial pour l’apprécier de ne pas rester crispé sur les préceptes de l’original. Peut-être s’agit-il simplement de ne pas le prendre tout à fait au sérieux ?