La Belle est la Bête

La complaisance des spectateurs avec les films Marvel ou les Star Wars va-t-elle ressurgir avec la sortie d'Alita ? Ou est-ce exclusif à ces films-là ?
Le dernier film de Robert Rodriguez va-t-il bénéficier de critiques proportionnées à sa zone d'attaque artistique ?
Ou va-t-on lui reprocher un manque de narration inutilement complexe et une prise de risque visuelle qui n'est forcément pas envisageable quand on souhaite, à la fois adapter une œuvre occidentale peu connue du grand public, et en même temps en faire un film de science-fiction hollywoodien ?

Je suis un fan de Gunnm, le manga d'origine. C'est un de mes classiques que j'ai chéri longtemps et que je continue d'adorer, tant pour son univers insalubre que pour ses personnages torturés. Sachez que l'univers de Gunnm se découpe en trois grandes séries distinctes : l'original Gunnm, puis The Last Order et enfin Mars Chronicle, et ce film-ci relate seulement une partie de la première série, autant dire qu'il y a encore énormément de choses à adapter et à aborder, et ceci explique sans doute pourquoi le scénario se veut introductif et évasif sur certains points de l'histoire, surtout en 2h de film pour un monde aussi vaste et riche que celui de Gunnm. Rodriguez s'en laisse sous le coude et dans sa réalisation il ne cache pas son intention de faire une suite si le film a l'accueil qu'il mérite, en témoigne la fin qui est ouverte et qui laisse pas mal de questions sans réponses.

Donc évidemment que cette adaptation des histoires de Gally, qui s'appelle dans ce film-ci "Alita", se permet quelques libertés et s'ouvre davantage sur des pistes narratives qui n'ont pas été aussi prolongé par le manga, ou pas directement.

La qualité de Gunnm c'est avant tout de réussir à dépeindre un monde extrêmement violent et sans pitié, tout en poussant les personnages à la réflexion sur eux-mêmes. Alita Battle Angel est une adaptation qui, en deux heures, parvient à condenser d'excellents scènes de combats, des scènes de motorball super jouissives et des moments de légèreté où la jeune Alita va se poser des questions sur son passé mais aussi sur son avenir.

En deux heures, le film de Rodriguez laisse le temps à ses personnages d'accroître leurs désirs tout en les mettant face à leurs responsabilités. C'est surtout le cas de Alita, mais aussi le cas d'Ido, son père-réparateur ou du jeune garçon qu'elle rencontre, Hugo. Je n'en dirai pas plus, mais voilà où je veux en venir, les personnages ne sont pas jetés en pâture au profit d'un trop-plein de spectacle, l'ensemble du film est justement dosé et a un intérêt pour l'histoire.

Alita Battle Angel a une trame assez conventionnelle et la partie psychologie du film ne nous évite pas quelques poncifs. Les personnages se montrent parfois manichéens, mais ce n'est pas franchement un problème et cela renforce même le côté "galvanisateur" du film, car Gunnm est avant tout une dystopie où se décuple autant les émotions, bonnes ou mauvaises, de Gally. Et ces émotions dans le cas d'Alita sont soit blanc soit noir, donc le manichéisme est en quelque sorte assez approprié au raisonnement que peut se faire le personnage. Elle ne perçoit, pas encore assez, le bien qu'il peut y avoir dans le mal ou inversement. L'esprit d'Alita n'est pas encore assez confronté à des situations pour nuancer son raisonnement, le film dépeint la chose plutôt intelligemment et il est évident que le voyage d'Alita ne fait que commencer, un voyage à travers sa conscience.

Gunnm ne se réduit pas à de la simple violence, certes il y a parfois de la violence purement gratuite, mais c'est aussi un univers qui se veut profond et qui nous dépeint un constat peu gratifiant de la nature humaine et de ses travers. De ce fait, le choix d'avoir grossi volontairement les "yeux" d'Alita est une chose intéressante car ils permettent d'accentuer ses réactions, donc ses craintes, ses doutes ou encore ses souvenirs les plus profonds.

Battle Angel vaut bien plus qu'on ne l'imagine. Visuellement époustouflant et musicalement cohérent tout le long, cette adaptation vise juste. Un peu convenu, elle l'est, oui. Des dialogues un peu insignifiants, oui il y en a. Mais il faut d'abord apprécier la bête pour ce qu'elle a à proposer et non pour ce qu'elle aurait pu faire, selon les envies/caprices de chacun. Robert Rodriguez n'est que l'exécutant finalement, il réalise le rêve de gosse de James Cameron de voir le monde de Gally sur grand écran.

En conclusion, je dirais qu'Alita est le croisement efficace entre superproduction hollywoodienne et film d'auteur. Reprenant solidement les fondemments du manga, cette adaption ne prend pas le spectateur pour une quiche sans pour autant tomber dans des facilités de mise en scène et elle se montre à la hauteur de ses ambitions à tous les niveaux. Certes, l'œuvre n'apporte pas grand chose de neuf au style Cyberpunk, n'évite pas les clichés sur les bons et les méchants, se permet des libertés au niveau de la trame principale et nous renvoie également à d'autres films qui ont déjà abordé l'idée de "deux sociétés socialement séparées" du bas vers le haut. Mais nous avons là un des grands spectacles de 2019 qu'il ne faudrait pas sous-estimer. Alita perpétue le cinéma de James Cameron : une romance mise à mal par un univers sans pitié, sous fond de tragédie, des questions existentielles et un visuel exceptionnel, peut-être pas aussi en avance sur son temps que l'avait été Avatar mais tout aussi efficace. Si ça peut en aiguiller certains, c'est la meilleure adaptation de manga que j'ai pu voir.