Un petit avant-propos.


C’est une règle : plus on attend un film, plus on s’expose au risque d’être déçu. Aussi certains préfèrent-ils ne jamais rien attendre, ou le moins possible, notamment en ignorant le plus possible tout ce qui est promotionnel, teasers, bandes-annonces, extraits, photos, et même des informations telles que l’identité du réalisateur et les noms des acteurs (!). Une hygiène de vie difficile à respecter pour la plupart des cinéphiles, a fortiori dans notre société saturée de numérique, mais facile à comprendre, car reconnaissons-le : quand on est dans une salle obscure, rien ne vaut la surprise, la VRAIE surprise, c'est-à-dire la plus complète possible. Face à Battle Angel, l’auteur de ces lignes a tout oublié de ces nobles enseignements : après sa découverte ébahie du teaser de décembre 2017 (celui qui annonçait le film pour l’été 2018…), il n’a loupé aucun des éléments promotionnels qui ont entouré ce film, allant même jusqu’à dénicher ses bandes-annonces japonaises et dévorer le hors-série de l’Écran Fantastique qui lui était dédié, alors que ses auteurs ne l’avaient, en toute logique, même pas vu. Pourquoi une réaction si viscérale ? Est-il d’un tempérament prompt au fanatisme ? Le teaser susmentionné était-il si démentiel que ça ? A priori, non. L’explication est simple : l’accusé, votre honneur, plaide, en toute sincérité, l’acte passionnel. Avec Battle Angel, ça a été une grande histoire d’amour, au premier regard. À sens unique, fatalement, mais l’accusé aime bien les récits tragiques.


Nous parlons d’Alita, hein. Pas d’Alita : Battle Angel. Le teaser ne disait pas grand-chose du film : on y voyait les noms de Jim Cameron et Robert Rodriguez, mais ces noms ne sont en rien des garanties de qualité à ses yeux, puisqu’il n’a pas VRAIMENT aimé un film de Cameron depuis True Lies, et que Rodriguez n’a jamais été pour lui un grand metteur en scène (Desperado et Une nuit en Enfer étaient prometteurs, mais ça a commencé à partir en sucette dès The Faculty). On y voyait Christoph Waltz, Mahershala Ali et Jennifer Connelly, mais de bons acteurs ne sont pas le signe d’un bon film. Les effets spéciaux avaient l’air très réussi, mais c’est un peu le lot commun de tous les blockbusters hollywoodiens à l'heure actuelle : les dollars sont là pour s’assurer que ça ait de la gueule à l’image, et le reste suit rarement. L’histoire n’était ni prometteuse, ni problématique, ça pouvait donner au final une odyssée existentielle et métaphysique comme ça pouvait donner un festival de clichés ambulant, avec son héroïne amnésique, ses pouvoirs mystérieux, son monde dystopique, et ses méchants patibulaires. Pour finir, tout ce qu’il connaissait de Gunm se limitait à l’anime en deux épisodes de 1993, vu... quasiment à l'époque. Non, la seule raison d’être emballé, c’était… Alita. Et encore, ce qu’on voyait d’elle dans ce teaser n’avait pas la gueule qu’elle aurait dans la version définitive. Mais l’esprit était là. Le character design. La fluidité et l’expressivité de la motion capture. Et Rosa Salazar, adorable actrice grâce à laquelle il avait survécu au deuxième volet du Labyrinthe (La Terre brûlée). Le fait que le film soit accessible en salle au public adolescent (étant classé PG-13) avait quelque chose de décevant, considérant la violence crue du manga, mais The Dark Knight n’est-il pas, lui aussi, un PG-13 ? Non, tout était possible, y compris le chef-d’œuvre, même venant d’un faiseur-bricoleur un rien grunge comme Rodriguez.


Du coup, les discussions qu’il a eues avec son entourage au sujet de ce film, une longue année durant, étaient assez sommaires : ceux qui n’adhéraient pas au design de l’héroïne le balayaient d’un méprisant revers de la main, et ceux qui y adhéraient ne pouvaient que dire : « ouais, ça va être trop génial, je suis d'accord !! ». Sans aucune garantie de ne pas se prendre le mur du réel en pleine poire, en ces temps de grosses productions toujours plus impressionnantes visuellement et toujours moins stimulantes intellectuellement. Mais les deux bandes-annonces qui ont suivi, entre l’été et l’automne 2018, n’ont fait que le conforter dans sa certitude déraisonnable que le film allait « être génial », et ceux qui n’étaient pas emballés était généralement ceux-là mêmes qui n’adhéraient pas au design d’Alita, soit des gens du plus intolérable mauvais goût. Niveau d’échange entre les deux camps : néant. Rendez-vous à la sortie, et que le meilleur gagne.


Ni pour, ni contre ? Pas vraiment.


[Attention, critique bourrée de spoilers, c'est même le principe]


Mais rien n’a vraiment changé, avec la sortie de Battle Angel : il y a bien sûr ceux qui ont été agréablement surpris par le film alors qu’ils n’en attendaient rien ou si peu (un peu difficile à comprendre, puisque la raison principale d’aimer le film, la réussite du personnage d’Alita, était déjà très visible dans les bandes-annonces, mais passons), et les inévitables déçus, mais le gros des troupes est resté divisé en deux camps assez distincts : d'un côté, les défenseurs du film, ardents, qui se demandent jusqu’où ira la morosité des critiques, et de l'autre, ses détracteurs, assez catégoriques eux aussi, qui s’amusent de ces sacrés nerds émotifs et leur capacité à s’emballer pour si peu. Un fossé séparant les deux. Tous les blockbusters hollywoodiens ne présentent pas la caractéristique d’avoir une moyenne critique (59% d’avis positifs) aussi éloignée de la moyenne public (94%) sur Rotten Tomatoes. Par exemple, Aquaman, pourtant une crétinerie générique du plus ennuyeux effet, affiche quant à lui 65% d’un côté, et 77% de l’autre. What the hell, people ? Alors, tout n’est pas à ce point noir et blanc : par exemple, la moyenne presse sur Allociné est supérieure à trois étoiles sur cinq, ce qui n’est pas mauvais… mais c’est davantage l’écart dont témoigne Rotten Tomatoes qui se ressent sur la toile, quand on farfouille un peu, écart dont témoigne également le 7,6/10 d’IMDb, moyenne destinée à baisser, certes, mais fort jolie pour cinquante mille votants. Dans les sections Commentaires des chaînes YouTube, c’est un concert d’éloges, rarement élaborés, mais puissamment concentrés sur les arguments esthétiques du film, son action, et le charisme de son héroïne, et très visiblement ennuyés par le mépris dont le film fait l’objet de la part des critiques professionnels. Dans la presse, qui peut toujours réduire les défenseurs de Battle Angel à une bande d’adolescents neuneus (+ un trentenaire énamouré), on s’arrête surtout sur le scénario, pas à la hauteur des ambitions du projet, son intrigue sommaire, ses personnages secondaires insipides, ses dialogues tartes, sa fin expédiée, et sa décision très discutable de ne se doter d’aucune résolution interne, puisque le film a plus des airs de premier épisode d’une série qu’autre chose. Et vous savez quoi ? Sans vouloir jouer le Suisse, tout le monde a un peu raison.


Oui aux critiques négatives. Oui, les personnages secondaires sont assez, voire très négligés, à l’exception du Dr. Ido (Christoph Waltz), et de Hugo (Keean Johnson). Oui, le personnage de Hugo est un lover boy presque aussi insipide que son interprète Keean Johnson, et oui, sa bluette avec Alita est sans grand intérêt, à moins d'être SUPER fleur bleue et d'aimer les shows de la CW. Oui, dans un film pareil, qui dit personnages secondaires négligés dit, hélas, antagoniste(s) négligé(s), et autant dire que celui de Battle Angel, Vector, est tragiquement oubliable. Oui, c’est du gaspillage de Mahershala Ali (qui vient de gagner un second Oscar... mérité ?), en plus du gaspillage de Jennifer Connelly, dont les personnages auraient pu être joués par à peu près n’importe quels acteurs. Oui, les dialogues sont tartes, les répliques mémorables étant bien moins fréquentes que le ridicule « You’re the most human person I’ve ever met » de Hugo. Et oui, cette idée de finir sans finir est pour le moins casse-gueule. Oui : on ne dit même pas non. Battle Angel est, de toute évidence, un film frappé de plusieurs défauts considérables, qui ne manqueront pas de rebuter certains. Aux fans : prétendre qu’il est un parfait film souffrant simplement d’un mépris de classe de la part de gros cons pédants qui ne jurent que par L’Année dernière à Marienbad le dessert plus qu’autre chose.


Parce que justement, c'est ça, le truc : on a bien dit « certains ». Qu’est-ce qui différencie ces « certains » des autres ? Quelle force quasi-mystique pousse l’auteur de ces lignes à attribuer huit étoiles à un film dont il reconnait TANT de défauts ? Ça ne peut pas être que le charme de l'héroïne. Simple : tout réside dans l'importance que l'on accordera à ces défauts, en comparaison de celle que l'on accordera à ses qualités. Parce que Battle Angel en a aussi, des putains de qualités. Parce que OUI également aux critiques positives. Et un « oui » massif. Oui, le personnage d’Alita est un chef-d’œuvre ambulant, fruit passionnel de la collaboration entre Rodriguez, réputé pour être un des cinéastes les plus accessibles à ses acteurs, de la petite Salazar, et d'artisans du numérique sans aucun doute virtuose, régal de tous les instants, et une des plus épatantes héroïnes d'action du cinéma, voilà c'est dit. Oui, ça envoie du lourd sur le plan formel, plus encore que ne semblent le penser certains défenseurs timorés : l'univers du film est aussi superbe esthétiquement qu’il n’est vivant et cohérent, sans aucun doute le signe de la présence du perfectionniste Cameron à la production. Chaque seconde du film donne le sentiment que lui et Rodriguez en avaient quelque chose à foutre, de ce qu’ils racontaient, que ce n’était pas qu'une récréation à deux-cents millions de dollars pour s'amuser avec les dernières technologies (on n'est pas chez Robert Zemeckis, en gros). Oui, le genre du cyberpunk est le premier bénéficiaire d’un tel esprit : vous en aurez rarement fait une expérience aussi spectaculaire, notamment grâce à un travail de conception des cyborgs aussi inspiré qu'homérique. Oui, chaque PUTAIN de scène d’action est une occasion, pour Rodriguez, de prouver à ses détracteurs qu’il est, en fait, un maître du genre, sous toutes les huit couches de n’importe quoi rigolard qui caractérisaient son cinéma depuis trop longtemps (Planet Terror, Machete, Spy Kids, on peut trouver ça fun un moment, mais voilà, quoi). Si l'on nous avait dit, il y a vingt ans, que le réalisateur du fauché El Mariachi réaliserait un jour le film le plus avancé technologiquement de son époque…


Et non, Battle Angel a beau souffrir d’une écriture un peu bateau, il n’est pas stupide au moins de gâcher le plaisir, du tout. Il n’est pas exactement ce qu’on peut appeler un film « cérébral », mais cela n'en fait pas un film idiot. Et à vrai dire, il vaut mille Ghost in the Shell (on parle bien sûr du film avec ScarJo), qui, lui, philosophait pas mal pour un résultat inepte. Battle Angel est un spectacle d'entertainment pur, doté du charme et de l’énergie qui manquaient justement à GITS. On ne peut même pas le comparer à un savoureux cheeseburger, prétextant que l’ouvrage est grossier mais succulent au palais formé : toute une partie du film relève plus de la grande cuisine qu’autre chose. Peut-être serait-il plus juste de l’assimiler à un cheeseburger cuisiné par un chef, mais accompagné, dans l’improvisation la plus totale, d’une assiette de frites du KFC ? Dans tous les cas, oui, Battle Angel constitue LA meilleure adaptation de manga jamais réalisée, l'anti-Dragon Ball Evolution, pour une première raison : son réalisateur a saisi mieux que quiconque, à ce jour, l’« esprit » non pas de Gunm spécifiquement, mais de la japanimation en général. C’est pourquoi le spectateur amateur de ce genre si… unique aura bien plus de chances d’adhérer au spectacle.


De la même manière, railler l’esprit Young Adult (YA) qui anime en bonne partie Battle Angel est ignorer que le manga parle d’une adolescente (de trois-cents ans, mais c’est un détail technique). Quand on a vu Hunger Games, comment la romance entre Alita et Hugo peut-elle ne pas rappeler celle, tout aussi sirupeuse, entre Katniss et Nom de pain à kébab ? Les effets du PG-13 sont indéniables : le trublion Rodriguez, d’habitude généreux en violence graphique, a beau en limiter les effets, son public-cible n’en est pas moins adolescent. C'est édulcoré. Ça dit « crap » plutôt que « shit » – quoique le film se réserve UN « fuck » à l’occasion de la meilleure réplique du film. Mais nous ne sommes pas obligés d’y voir un cataclysme, parce que Battle Angel n’est pas Robocop, ni le récent Upgrade. Même l’adaptation ciné d’Akira, au cas tragique où elle survenait, pourrait survivre à un PG-13. Les ados n’y comprendraient rien, mais ils auraient le droit de regarder.


En fait, le cas Battle Angel rappelle à l’auteur de ces lignes un autre cas, celui de Tron : L’Héritage, sorti il y a huit ans, quasiment jour pour jour (sic) : un long-métrage de SF canonissime sur le plan formel, mais manquant de substance, flingué par une presse blasée mais défendu ardemment par une petite armée de fans. Quand il avait vu cet OVNI en salle, ça avait été là aussi le coup de foudre immédiat, avant tout pour les effets spéciaux, eux aussi à la pointe, la direction artistique hallucinante, et la musique inoubliable de Daft Punk, mais sans cracher pour autant sur le fond : le scénario de ce Tron ne cassait pas trois pattes à un canard, mais a) se tenait dans l’ensemble, et b) ne prenait pas son spectateur pour un con. Et son réalisateur Joseph Kosinski (qui réaliserait juste après le tout aussi mésestimé Oblivion) s’était chargé de lui donner à l’écran le caractère qui lui manquait à l’écrit. Partant de là, la presse pouvait flinguer le film tant qu’elle le voulait : rien à cirer. Tron : L’Héritage était tellement beau à voir et réjouissant à suivre que le pop-corneur bien luné ne pouvait QUE pardonner les ratés de son scénario conventionnel, ou plutôt du traitement conventionnel de son intrigue somme toute, assez originale.


Et au fan du présent Battle Angel de se demander si ce dernier connaîtra le même sort que Tron : L’Héritage, c’est-à-dire l’abandon pur et simple du projet de suite en cas de résultats insatisfaisants au box-office, dont il souffrirait bien davantage encore car le deuxième Tron avait l’avantage d’une intrigue autonome (on voulait un troisième volet, mais il n’était pas nécessaire à la compréhension du deuxième). Assurément, votre serviteur souhaite ARDEMMENT que Battle Angel ait une suite, pour retrouver son héroïne (qui aurait en toute logique encore PLUS de gueule), retrouver son monde grouillant et tentaculaire, découvrir la très prometteuse Zalem, et en voir davantage de Nova/Edward Norton. Si le film se prend huit étoiles plutôt que six et demi, ce n’est pas seulement pour une histoire d’amour à sens unique avec la gentille cyborg : c’est aussi pour encourager la production du second volet. S’il appelle le film Battle Angel depuis le début de sa critique, c’est parce que Jim Cameron a en tête d’intituler le deuxième volet Fallen Angel, et le troisième Avenging Angel. Il n’est pas difficile de comprendre la réaction de rejet qu’a inspiré la décision, sans doute prise par Cameron, d’écrire ce premier opus comme un premier épisode de série, plutôt que de lui donner une intrigue autonome, nous y reviendrons. Un film doit pouvoir se tenir sans l’aide du matériau original ou d’une mise en contexte (« Mais t’as pas compris, tu verras, dans le prochain film, tout sera expliqué ! »), surtout lorsque sa suite n’a RIEN de garanti. C’est un autre défaut de ce cher Battle Angel. Mais encore une fois, la team Alita pardonne à cette dernière bien des bêtises.


En d’autres termes : bon nombre des défenseurs du film vont commettre l’erreur de se comporter en fanboys et, au nom desdites qualités, nier ses défauts. Il ne faut pas.


Parce que le film et ce qui l’entoure passionnent l’auteur de ces lignes, mais que ce dernier n’a pas tout son temps libre à lui consacrer, il opte cette fois-ci pour le jeu des plus et des moins, bien moins chronophage (quel mot horrible). À ceux qui manquent, eux aussi, de temps libre, la première partie dont vous terminez la lecture fait une critique tout à fait… autonome. La suite n’est qu’excès de zèle d’un nerd coupeur de cheveu en quatre et expert en tartinage. Puisque nous avons commencé par lister les éléments négatifs du film, reprenons cet ordre.


LES MOINS :



  • L’intrigue surpeuplée. Cameron et sa coscénariste, sans doute par excès de ferveur, ont placé TROP d'éléments de l'intrigue originale dans leur film de deux heures : Alita à la recherche de ses origines, Alita devenant une chasseuse-guerrière, Alita vivant sa première histoire d’amour, Alita et sa relation houleuse à la figure paternelle qu’incarne Ido, Alita et sa relation encore PLUS houleuse avec le cyborg-molosse que lui envoie à cadence régulière l’antagoniste Vector, Alita et Zapan, ennemi qu’elle se fait sans que ça n'ait un véritable lien avec l’intrigue centrale, Alita championne de motorball, plus la présentation et l’exploration d’un univers cyber qui en vaut amplement la peine, plus ce pauvre Hugo jouant les pilleurs du futur pour remplir sa tirelire, plus le passif existant entre Ido et son ex-épouse Chiren et la tension dramatique que cela pouvait créer, plus la rédemption de cette dernière lorsqu'elle passe dans le camp des gentils, qui requérait forcément un semblant de cheminement psychologique, plus quelques minutes consacrées à Vector et ses motivations… une bonne moitié de ces éléments est en trop. Le film a parfois des airs d'intrigue de six épisodes condensés en un film d'une heure.

  • Quelques grands moments de n’importe quoi. Par exemple, quand Chiren surgit de nulle part pour sauver Hugo, soit quelque chose qui n’était PAS dans le manga (où Alita le sauve toute seule comme une grande), on se demande ce que c’est que ce bordel : comment pouvait-elle savoir qu’ils se retrouveraient à cet endroit précis ? Et quand bien même elle aurait eu un moyen de le savoir, comment s’y est-elle rendue en quelques minutes ? À un moment, Hugo et ses amis emmènent Alita jusqu’à l’épave d’un vaisseau martien, à moitié immergée dans un lagon. Un vaisseau martien. Encore rempli d’une technologie martienne en état de marche. Où l’attend tranquillement son nouveau corps. Comme si, dans un monde rationnel, les, ou DES autorités n’avaient pas cloisonné toute la zone et pillé, ou du moins tenté de désosser le bestiau. Un vaisseau martien, laissé dans son coin comme une vulgaire Twingo au fond d’un parking de Conforama, c'est ça c'est ça. Autre moment : Alita a donc un cerveau et un cœur très puissants… mais comment se fait-il que son premier corps, celui qu’a conçu Ido pour sa défunte fille et non pour une super-guerrière de l’espace, résiste si bien aux combats ? Et soit suffisamment lourd pour couler au fond du lagon susmentionné ? Autre moment : si Vector et Chiren veulent à ce point Alita, pourquoi ne pas envoyer la cavalerie chez Ido alors que cette dernière est impuissante, après le combat contre Grewishka ? À quoi jouent-ils ? Pour finir, Alita évoque les « texture sensors » de son nouveau corps auprès d’Hugo, ce dernier lui demandant alors si elle sent sa main toucher la sienne, effleurer sa joue, etc., laissant entendre qu’avant, ce n’était pas le cas : serait-il seulement possible, pour Alita, de se mouvoir si bien dans l’espace, d’être à ce point maîtresse de ses mouvements, sans être dotée du « sens de la peau », fondamental pour la nôtre, d'espèce ? L’auteur de ces lignes n’étant pas un scientifique de formation, il se contente de s’interroger, mais ça lui semble quand même assez limite.

  • La romance est tarte, donc. Nous avons évoqué Tron : L’Héritage en début de critique. Une de ses qualités, tout simpliste que soit son scénario, est qu’il ne perd pas de temps en roucoulades : on sent que le courant passe entre Sam et Quorra, leur attachement grandissant s'exprime au long du film à travers l’action souvent périlleuse, la fin ne laisse aucun doute quant à la formation de leur joli couple, et ça s’arrête là, et c’est très bien comme ça. De prime abord, on aurait aimé retrouver dans Alita cette économie de violons. Comme sa romance s’avère sans grand intérêt, il aurait fallu qu’elle soit, tout au plus, aussi survolée que dans L'Héritage. Or, nope.

  • Des dialogues assez médiocres, la seule réplique mémorable étant le déjà fameux « FUCK your mercy ! » de l’héroïne. Ido disant à son ex-épouse « Our daughter is dead, Chiren, you need to let it go » (réplique clichée au possible dont la seule fonction est de poser trèèès subtilement leur background), les encore plus fameux « You are the most human person I have ever met » de Hugo à Alita et « *I will not stand by in the presence of evil ! » d’Alita, ou encore TOUTES les lignes de dialogues des insignifiants personnages de Tanji et Koyomi (les amis), ne sont que des exemples. Même Vector n'a rien à se mettre sous la main de sardonique. Et n’oublions pas le côté atrocement explicatif de bien d’autres dialogues, du genre de « Oh, mais Hugo, si ta copine sait que tu trafiques des organes, elle va te quitter ! »… Un argument intéressant soulevé par les défenseurs du film est que bon nombre de ces dialogues viennent DIRECTEMENT du manga, arguant en faveur de la fidélité du film au matériau d’origine. En gros, ce n’est pas de la faute de Cameron et sa co-scénariste. Seulement, une adaptation, c’est… une adaptation. Aucun principe n'interdit à ses auteurs de donner à la version ciné de MEILLEURS dialogues. Ça n’aurait certainement dérangé personne, pas même le mangaka.

  • Des personnages secondaires négligés au profit des deux duos qu’Alita forme avec d’un côté Ido (en bien), de l’autre Hugo (en moins convaincant). En fait, tous les personnages secondaires sont davantage tertiaires, dans les faits, reléguant au quatrième ou cinquième sous-sol un personnage comme celui de l’assistante, pot de fleurs fondu dans l’arrière-plan.

  • Une absence d’antagoniste digne de ce nom. Vector est un méchant aux motivations bassement matérialistes, sans caractéristique particulière qui l’aurait coloré un peu, et le fait qu’il ne soit qu’un pion dans le jeu du « vrai » méchant ne lui apporte pas la gravité résignée comme ça le faisait avec Le Chiffre dans Casino Royale (espérons cependant qu’Alita aura son équivalent de Quantum of Solace, en réussi). Quant audit « vrai » méchant, Nova, il a l’air sacrément craignos, ça c’est sûr, mais dans les faits, ça se résume quand même à beaucoup de blabla rappelant surtout ce que nous inspirait l’Empereur de Star Wars avant Le Retour du Jedi : une simple présence menaçante, ce qui ne posait pas de problème au spectateur, puisqu'il avait de quoi faire avec le danger imminent qu’incarnait Dark Vador. Battle Angel n’a pas son Dark Vador, même pas qu'un peu.

  • Le gros gaspillage d’acteurs qui est une des conséquences des deux points précédents, à commencer par celui de Jennifer Connelly(J-Conn pour les intimes) et Mahershala Ali. À l’exception évidente de Rosa Salazar, et peut-être celle de Christoph Waltz dans une moindre mesure, les acteurs n’ont pas vraiment l'occasion de briller, dans Battle Angel, et ça se voit VRAIMENT avec ces deux premiers. L’intense brune aux yeux émeraude et l’acteur-phénomène de Green Book, tous deux oscarisés, convenaient impeccablement à leurs types de rôles, mais Cameron et sa coscénariste n’en ont rien fait. Certes, Battle Angel n’est ni A Beautiful Mind, ni Moonlight, et le cinéma de Cameron n'est pas connu pour ses performances d’acteurs. On peut même dire que le cinéaste n’est, contrairement à ce qu’on pourrait penser, pas vraiment doué en méchants : si l’on omet le génialement instable lieutenant Coffey dans Abyss, et se rappelle que le Terminator n'est pas humain, que reste-t-il ? Pas grand-chose, et certainement pas celui d’Avatar. Mais la façon dont Cameron les filmait les rendait au moins mémorables. Là… rien. Et le plus tragique, dans tout cela, est qu’on ne peut même pas compter sur l’éventuel second volet pour développer Vector et Chiren, puisque tous deux meurent comme des merdes à la fin du premier (la seconde a certes toujours son cerveau, mais si elle fait son retour, ce ne sera pas sous la forme de Jennifer Connelly, donc on s'en fout). Le YouTubeur Jeremy Jahns eu une amusante remarque, à ce sujet. Avant d'aller voir le film, il s’est dit que si jamais Battle Angel était raté, le grand Mahershala Ali ferait ce qu’a fait Raul Julia dans Street Fighter, c’est-à-dire rendrait divertissant un nanar par la simple force de son charisme. Heureusement, Ali n’a pas eu à le faire puisque Battle Angel est à mille lieues de Street Fighter… mais la contrepartie est qu’il n’a pas fait son Raul Julia. Oh, et Rodriguez réussit même à ne rien faire de Jeff Fahey. JEFF FAHEY !

  • Pour finir concernant le scénario, l’absence de troisième acte. Le problème n’est pas seulement que le dernier tiers du film est terriblement précipité ; c’est qu’il n’est pas construit correctement. Difficile de croire que James Cameron himself a co-écrit ce scénario…

  • L’absence de sentiment de péril imminent déçoit un peu. Elle peut être mise sur le compte de l’absence d’antagoniste réussi, mais pas seulement : l’héroïne elle-même est problématique en ce qu’elle est… TROP forte. Limite indestructible. Son deuxième affrontement contre Grewishka a beau la couper en morceaux, on ne la sent pas acculée, aux abois, au bout du rouleau. Même avec un membre restant, elle arrive à la neutraliser. On a bien compris qu’elle est une guerrière interstellaire censée mettre minable un peu tout le monde, mais à protagoniste puissant, antagoniste surpuissant, puisqu'un récit a besoin d’enjeux. Espérons que cette absence d’épreuve balaise (toute tendue qu'ait été la scène du motorball) soit le signe d’une préparation aux VRAIES épreuves du deuxième opus !

  • Le côté « tout public » du film a été évoqué, un peu plus haut. On a beau comprendre les motivations du PG-13, la première étant de rentrer dans ses frais pour pouvoir se donner une suite, et trouver que Battle Angel tient parfaitement la route en tant que divertissement accessible aux mineurs, difficile de ne pas regretter un chouïa l’absence de violence graphique… majeure. Dans le manga, Alita manque d’y passer à plusieurs reprises lors de ses affrontements avec la horde de cyborgs patibulaires, à commencer par son premier contre l’énorme Grewishka, alors qu’elle apparaît dans le film bien moins vulnérable, nous l'avons abordé plus haut. Grewishka, pour l’attirer dans son outre-monde, ne prend cette fois-ci pas en otage un bébé qu’il mime de dévorer. Ce n’est pas un petit coup d’épée dans le ventre qui vide Hugo de son sang, mais une amputation bien gore de son bras. Chiren est bieeeen trop vêtue alors qu’elle se trouve encore dans le lit de Vector (des bas, sérieux ?), ce qui est fort regrettable bien qu’il ne s’agisse pas de la J-Conn correctement charnue d’il y a encore dix ans. Et surtout, SURTOUT, les vols d'organes n’ont rien de traumatisant, contrairement aux originaux, puisque dans Battle Angel, lesdits organes ne sont jamais QUE mécaniques : quand on vire l'organique, forcément, c’est moins salissant. En bref : on n’ose imaginer ce que le Paul Verhoeven de la grande époque aurait fait du matériau original !

  • La fin aura beau donner une furieuse envie de voir la suite aux spectateurs conquis, elle n’en est pas moins problématique dans son choix de ne… PAS en être une. De prime abord, on peut arguer qu’un Iron Man et un Hunger Games donnaient la même impression de ne faire que commencer, le premier en finissant sur le coming-out de Tony Stark, le second sur le président Snow manigançant une énième saloperie. Mais comme expliqué plus haut, ils avaient un arc narratif bien à eux et une intrigue indépendante grâce auxquels ils auraient survécu à l’annulation de leurs suites. Battle Angel passera un sale quart d’heure si jamais l’on apprend qu’il n’y aura pas de Fallen Angel


LES PLUS :



  • Alita, donc. Jim Cameron voulait réaliser ou produire cette adaptation depuis vingt-cinq ans, mais il y a encore dix ou quinze ans, on aurait sans doute eu droit à une Alita à 100% numérique, pour un résultat très probablement décevant, donc yay à la performance capture ET au temps qui passe. Rosa Salazar a décrit son travail comme un pilotage de bolide : ce n’est pas exactement elle qu’on voit, mais c’est elle qui conduit. La technologie ne suffisait cependant pas. Il fallait la fusion de tous les talents évoquée plus haut. Car jamais personnage animé n’aura autant fait corps avec son interprète, pas même le César d’Andy Serkis. On ne « voyait » pas Zoe Saldana dans Avatar, alors qu'on « voit » Rosa Salazar sous son personnage, à l'intérieur du bolide. Et cette nuance en fait un enchantement permanent, le personnage d’Alita profitant de son charisme naturel et de l’attention amoureuse des designers et animateurs, jusqu’à son adorable cosplay Megaman lors du match de motorball.

  • L’auteur de ces lignes n’a pas aimé Avatar parce qu’il a trouvé que ce mélange de Pocahontas et Danse avec les loups au pays des Schtroumpfs pâtissait d’un scénario inepte et d’une absence d’antagoniste digne de ce nom. Or il pardonne présentement à Battle Angel... le manque d’inspiration et de substance de son scénario, sous prétexte qu’il est un régal pour les yeux. Est-ce incohérent ? Absolutely not, car Rosa Salazar n’est pas Sam Worthington, et qu’Alita n’est pas Neytiri. En gros : ce que les détracteurs d’Avatar reprochent au film n’est pas tant son manque d’originalité que son manque de caractère et d’âme. Choses que le film de Rodriguez a à revendre.

  • La mise en scène de Rodriguez, justement : si elle n’est pas la plus caractérielle de toutes, car précisons bien que ce dernier ne sera jamais un grand, le gars a su, contre toute attente, s'adapter aux canons du blockbuster hollywoodien dans ce qu'il a de plus divertissant et respectueux de son public. Le scénario de Battle Angel est peut-être faiblard, mais la qualité de son action est, elle, constamment grandiose, de la mini-scène du sauvetage du chiot au spectaculaire match de motorball, témoignage d’un savoir-faire que l’on avait, de toute évidence, sous-estimé. Difficile de décrire l’énergie et le niveau de maîtrise de l’espace dont chaque scène d’action bénéficie(ça a beau partir dans tous les sens à l’écran, le spectateur n’est jamais perdu). Aucune n’inspire un semblant de « meh ». Le travail de design et de mixage sonores est à la hauteur des chorégraphies assez sensationnelles, on ressent chaque mandale que les personnages se prennent dans la gueule. Et attention : le soin artisanal apporté au film, qui le rapproche plus de la méthode Nolan que de la méthode Besson (avec son overdose d'effets numériques), ne tient pas qu’à Cameron ; on sent aussi la patte Rodriguez, en dépit du budget colossal. Battle Angel a la gueule en béton armée d'une production Cameron ET le côté joyeux foutoir indé du cinéma du Chicanos au chapeau. Sans lui, le film aurait été probablement tourné davantage sur fond vert, et la ville d’Iron City n’aurait probablement pas eu autant de quartiers bâtis en dur, et le tout aurait probablement eu moins de gueule. Mais vraiment... qui l’aurait cru ? Le souvenir de Desperado et ses réjouissantes fusillades croupissait sous les guignoleries de sa filmo des années 2000. Force est de constater qu’il est aujourd’hui ravivé en bien, nous donnant carrément l’envie de le revoir à la maison.

  • La gueule de l’ensemble, car le personnage d'Alita n’est pas la seule perle techno-artistique du film. Disons-le franchement : Weta digital >>>> ILM. Il a « suffi » de la trilogie du Seigneur des Anneaux et d’Avatar pour asseoir la suprématie de la boite d’effets spéciaux néo-zélandaise montée par Peter Jackson, et Battle Angel est, à ce jour, leur magnum opus. Quiconque ayant vu le teaser du film, le fameux que bon nombre de sceptiques avaient à l’époque étrillé, et s’intéressant aux effets spéciaux en général, ne pouvait ignorer son prodigieux potentiel. Il suffisait d’un seul de ses plans, celui des mains d’Alita s’articulant à contre-jour alors qu’elle découvre son nouveau corps : la texture, la diffusion de la lumière, tout était déjà parfait. À ce propos, réjouissons-nous que le film ne soit pas sorti à l'été 2018 comme c'était prévu : la réussite totale des effets spéciaux était cruciale à celle du film.

  • La direction artistique, à commencer par les concepteurs d’Iron City et des cyborgs, ne pouvait que profiter du prodigieux accomplissement de Weta Digital. Ce n’était pas seulement sur le plan technique que le plan des mains d’Alita saisissait, mais aussi sur le plan esthétique : le premier corps de l’héroïne est sublimement conçu, de ses articulations à ses gravures et enluminures – à tel point qu’on le regrette un peu lorsqu’elle passe à son corps de guerrière martienne, tout classe soit-il. La seule contemplation du character design et du détail de chaque cyborg présent dans le film vaut à elle seule le ticket d’entrée : tout contribue à un effet de réalisme que l’on doit essentiellement, dans ce cas-ci, à la maniaquerie supérieure de Cameron. Et ce dernier a fait un excellent choix en se payant les services du chef opérateur vétéran Bill Pope (Bound et Scott Pilgrimwhat else ?), qui a plongé Iron City et ses intérieurs dans une lumière organique (voir ce moment où Alita passe du bleuté de sa chambre à l’orangé du living room) contribuant à cette impression de réalisme. Cela aussi se constatait dès les bandes-annonces : la ville grouille de vie, contrairement à la plupart des taudis numériques que l’on trouve dans des blockbusters post-apo du type du Labyrinthe 2 (il n’y a qu’à voir la quantité de figurants bien réels listés sur la page IMDb de Battle Angel !). Il était nécessaire que cet univers ait une certaine authenticité, car le cyberpunk n’est pas qu’une esthétique, c’est aussi un esprit. Au bout du compte, la confusion humain-machine a-t-elle souvent été plus marquante que dans ce film ? On pouvait au moins reconnaître cette qualité à GITS, et le film de Rodriguez semble poursuivre cette montée en puissance du genre, dont on parlera sans doute énormément à la sortie du jeu vidéo Cyberpunk 2077.

  • Au passage, le concept de « monde sous tous les mondes », dans lequel Grewishka entraîne Alita pour l'affronter, est intéressant. Les chances sont faibles qu’il soit développé, mais il a quelque chose de presque lovecraftien qui donne un certain cachet supplémentaire à leur affrontement.

  • La relation entre Alita et Hugo est tarte, mille fois oui. Mais ça colle plutôt bien au film tel que l’ont voulu Cameron et Rodriguez : un teen movie. Alita a beau avoir trois-cents ans, sa perte de mémoire, qui l’a « rebootée », et sa candeur naturelle en font une adolescente tout ce qu'il y a de plus élémentaire. Ses relations avec Ido sont celles d’une adolescente avec son père : même caprices d'émancipation, même défi de l’autorité (cf. Alita dans son petit manteau de cuir noir pour bien signifier qu’elle arrête de rigoler… kawaii !). Et son idylle avec Hugo a tout de ce fameux premier amour qui parlera à tant de spectatrices… vous savez, cette obsession pathologique pour un petit gars qui ne le mérite généralement pas (mais attentions, les filles, l’inverse est tout aussi vrai). Alita est carrément prête à lui donner son cœur, et ça parait un poil radical sur le moment, mais ça fait sens. Aussi peut-on trouver logique que cette simili-« origin story » comprenne une relation pareille. Ce qui ne la rend pas plus fascinante pour autant, hein…

  • La relation entre Alita et le Dr Ido, en revanche, est l’âme du film. Ido aurait pu souffrir, comme les autres personnages, du manque de profondeur du scénario, mais il n’en est rien. Leur dynamique père-fille fonctionne à merveille. Naturellement, Christoph Waltz n’y est pas pour rien.

  • Le travail d’adaptation est excellent, à quelques bidouillages près, comme les changements apportés au personnage de Chiren, que nous avons abordés plus haut. On peut penser ce que l’on veut des personnages secondaires, on les retrouve bien, dans le film. L’arrivée très précoce du motorball ne dérange personne tant elle est bien incorporée à l'intrigue. Et surtout, TOUT passe à l’image, y compris l’immense arme du docteur Ido, alors qu’elle était tellement caricaturalement « anime » ! Par ailleurs, l’absence de fin de Battle angel ne frustrera au moins pas les connaisseurs du manga ou de l’anime, puisque le film est très fidèle. À ce propos, cette extrême fidélité a beau lui avoir joué deux sales tours que son le trop-plein d’intrigues de son scénario et la faiblesse de ses dialogues, il serait injuste de la lui reprocher, dans l'ensemble. C’est pourtant ce que font certains, sous prétexte qu'ils connaissaient sur le bout des doigts le matériau d’origine, et n'ont donc pas été surpris. C’est idiot. On ne peut pas satisfaire tout le monde, dans ce genre de situation : manquez de fidélité, et vous trouverez au moins autant de gens pour s'en plaindre. Pourquoi espérer être surpris par l’intrigue, lorsqu’on va voir une adaptation en film ? Ne va-t-on pas la voir précisément pour apprécier la mise en images de l’histoire que l’on a tant apprécié sur le papier ? Ce n’est pas la plus-value d’une version cinéma. Sa plus-value, c’est... LE CINÉMA. Si c'est réussi sur ce plan, le connaisseur du livre ou de la bédé ne pourront pas sérieusement se plaindre de ne pas avoir été surpris. D'autant plus que les adaptations réussies de bédé et manga, ça arrive à peu près une fois tous les six-cents ans, selon la légende...

  • Nous ne nous sommes pas privés de critiquer le PG-13 malgré notre compréhension de sa stratégie. Maintenant, il serait injuste de ne pas reconnaître les efforts qu’a fait Rodriguez pour que son film ne ressemble pas à une production Disney ou à un Marvel (ne sommes-nous pas bêtes, c’est la même chose !). La mécanique a beau avoir remplacé l’organique, un méchant passe quand même à la broyeuse, façon Indiana Jones et le Temple maudit. Et quand du sang bleu jaillit des crânes enfoncés, ça reste salissant.

  • « Fuck your mercy ! »

  • « Pfff… that was pretty intense, right ? » Ok, on n’a jamais dit qu’il n’y a RIEN à tirer des dialogues. En fait, les répliques légères ou humoristiques sont plutôt sympas. C’est quand ça devient sérieux que ça bat de l’aile.

  • La fin a beau être une non-fin sur le papier, les dernières minutes du film n’en sont pas moins grandioses à l’image, grâce au savoir-faire de Cameron et Rodriguez. Leurs choix scénaristiques ont beau priver le spectateur d’un vrai climax, leur façon d’exprimer visuellement la promesse d’un climax à venir est, elle, irrésistible : l’arrivée dans l’arène de l’héroïne sous les bruyants encouragements d’une foule autrement plus réaliste que celle d’un Aquaman, la façon dont elle brandit son épée incandescente vers Zalem, celle archi-dramatique-mais-tant-mieux dont Nova lui renvoie son geste du haut de sa tour, et révèle son interprète sur la musique tout aussi dramatique de Junkie XL… Sur le moment, cette dernière minute fait oublier les cafouillages du storytelling.


En plus, Battle Angel énerve les SJW


(Vous savez, les Social Justice Warriors, militants progressistes/antifascistes très présents sur les réseaux sociaux, pour le meilleur... mais en fait, non, uniquement pour le pire.)


Alors, ce n’est peut-être pas un gage de qualité pour tout le monde (certainement pas pour les Social Justice Warriors), mais c’en est un pour votre serviteur. Surtout dans le cas présent : certains de ces obsédés pathologiques des cases identitaires reprochent au film de s'être plié, avec le corps d’Alita, à la vision étriquée de la beauté féminine que nous impose notre maudite société capitalisto-patriarcale, car il est... bien proportionné. Doté d’une taille mince, et d’une figure élancée (nous parlons bien sûr du SECOND corps, le martien). Parce que ce n’est pas inclusif, vous comprenez, de suggérer que les concepteurs d’une cyborg guerrière pourraient trouver logique de la concevoir ainsi, plutôt que de lui donner la silhouette d’une grosse vache de cent-vingt kilos, fourchette basse, et lui dessiner un peu de cellulite en garniture. Désolé, les gars : il existe une chose telle qu’un corps d'apparence sain, et aucune accusation chouineuse de « fat-shaming » n’y changera rien. Et puis, ce n’est pas comme si le corps d’Alita ressemblait à celui de Raquel Welch. Battle Angel n’essaie à aucun moment d’en faire un sex-symbol. Alita au max de sa sexualité, c’est un bisou à Hugo aussi farouche qu’un épisode d’Hélène et les garçons. C’est un putain de cyborg qui démarre dans un corps de gamine !


Tout bien réfléchi, peut-être ces « critiques » ont-elles un rapport avec Captain Marvel, monument de propagande féministe en approche que son actrice principale tire vers le bas, ces derniers temps, à coups de remarques délirantes dont elle gratifie ses interviews. Quel serait le rapport ? Eh bien, de plus en plus d’internautes prévoient d’aller voir Battle Angel une seconde fois début mars, voire une troisième, dans un esprit « militant », plutôt que de donner leur argent à Disney. Ce qui est sûr, c’est que la petite Rosa Salazar n’est pas cette conne narcissique de Brie Larson : elle a récemment confessé être tout à fait capable de s’identifier à un héros masculin, et que dans une société saine, les filles doivent pouvoir s’identifier à des personnages de garçons, et les garçons, à des personnages de filles… soit l’opposé de la pensée SJW, axée sur la forme la plus radicale possible de « guerre des sexes ». Non mais franchement : aucun de ces « progressistes » ne se rend compte qu’il tape sur un blockbuster de SF réalisé et interprété par… deux Latinos ?


En fait, l'opposition entre Battle Angel et Captain Marvel a peut-être quelque chose d'important. Tous deux ont une héroïne amnésique qui doit puiser dans ses mystérieuses origines la force nécessaire à affronter les forces du Mal, et tous deux peuvent donc être vus comme des films féministes (avec tout ce que ça comporte de raccourcis, interprétations subjectives et vœux pieux), mais l'un s'y prend bien, tandis que l'autre, en jouant le jeu toxique des identity politics, s'y prend, a priori, très mal. L'un mérite notre argent, l'autre, non. Pas besoin de vous faire un dessin.


Ne crachez donc pas dans la soupe.


Oui, ne crachez pas dans la soupe, les gens. Qu’ajouter de plus à cette copieuse critique, que son auteur appellera plutôt « dossier » pour justifier sa longueur et ne pas avoir l’air mentalement instable ? La soupe ne mérite pas ça. Voilà. La soupe mérite d’être bue. Elle n’est pas parfaite, mais elle est nourrissante, et elle a bon goût, à deux ou trois ingrédients près qui ne sont pas assez déterminants pour tout gâcher, et l’occasion de goûter de ce genre de soupe ne se représentera pas forcément de sitôt, pensez-y ! Profitez. Et si ça vous demande trop d’efforts, essayez de vous rappeler ce que c'est que d'être un cinéphile de quinze, seize ans, qui va au cinéma non pas pour en ressortir conforté dans sa vision étriquée du monde, mais pour vivre une EXPÉRIENCE sensible ! Ou bien ne faites rien. Ou bien, vous n’accrochez simplement pas au design de l’héroïne, et l’histoire ne vous a pas captivés parce que, soyons honnêtes, on a vu mieux. Et puis ce Hugo, mon dieu, quelle tarte à la crème. Ou encore autre chose. Mais à moins d’être du genre mesquin ou malveillant, les détracteurs du film devraient comprendre un minimum pourquoi un certain nombre de spectateurs attendent la suite de Battle Angel, percevoir son potentiel, et ne pas se montrer trop dur à son égard. Ce dernier a besoin de tous les soutiens possibles.


Tron : L’Héritage n’a pas eu la suite qu’il méritait à cause de ses faibles résultats au box-office. Battle Angel ne doit pas connaître le même sort. Il y va de l’avenir de la saga, de l’avenir du cinéma de SF grand public, de l’avenir des adaptations hollywoodiennes de manga, de l’avenir des États-Unis d’Amérique, et par conséquent de l’avenir du monde, dont font partie les flexitariens, malgré les apparences. Au 25 février 2019, le film, qui a attiré plus de monde que prévu dans les salles US mais pas autant qu’il aurait dû au regard de son budget, semble néanmoins en passe de rentrer dans ses frais grâce au box-office international. La possibilité d’une suite, que certains tournaient en dérision encore récemment, est de moins en moins surréaliste. Alita ne serait donc pas l'insignificant girl qu'elle évoque durant le film. Et on n'a même pas les chiffres du box-office nippon. Looking fine, girl.

ScaarAlexander
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le 25 févr. 2019

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