On a vu que les périples en bateau n'étaient pas une très bonne idée....

Ecrit par J.C. Chandor (Margin Call, A Most violent year…) et réalisé par Sean Akers (Banshee Chapter, Lust for Love…), All is Lost est un film dramatique nous amenant à suivre un homme isolé en plein milieu de l’Océan Indien, à environ 1700 miles nautiques du détroit de Sumatra, sur un bateau endommagé. Le film a été projeté hors compétition au Festival de Cannes en mai 2013 mais n’est sorti réellement qu’en décembre 2013 dans les salles françaises.

Les films « survival » sont de nouveau à la mode au cinéma, après une assez longue période à bouffer du blockbuster à tous les repas – en lien avec les comics de préférence. Cela a quelque chose d’assez rafraîchissant, parce que tout y est épuré au profit d’une narration opposant l’Homme aux éléments naturels. De la même manière, on ne peut s’empêcher devant ce type de film de se demander ce qu’on aurait fait / dit / pensé à la place du protagoniste, comme de contempler avec une espèce de fascination macabre chacune des mauvaises décisions prises sous nos yeux (parfois en invectivant son écran en espérant y changer quelque chose). Dernière raison de succomber aux films survival: les thèmes abordés sont assez rarement limités à ce que l’on peut voir à l’écran et sont souvent très vastes et métaphoriques. All is Lost ne déroge pas aux règles des films du genre.

All is Lost, c’est un peu « Robert Redford fait du bateau », mais en beaucoup mieux. A des lieues du film de vacances un peu chiant sur les bords ou d’un monologue de 106 minutes, All is Lost met en scène le presque mythique Robert Redford dans la peau d’un homme dont on ne sait pas grand chose et qui se retrouve pris dans un tourbillon de vie et de mort.

All is Lost, c’est avant tout une incroyable performance intime de Robert Redford, seul maître de sa survie (ou non) sur son bateau. Le personnage qu’il incarne n’est pas développé et n’a pas de nom, on sait simplement qu’il s’agit d’un homme qui part en mer, qu’il est sans doute (ou a été) marié, mais on ne s’attarde pas trop sur qui il est. Et à défaut d’être une facilité ou un manque d’envie de travailler sur son scénario, ça évite surtout de tomber de le pathos ou la psychologie bon marché à grands renforts de scènes faisant intervenir la famille inquiète… et ce choix appréciable rend l’immersion complète: on est sur le bateau avec Robert Redford et on n’en bougera pas tant que lui n’en bouge pas !

Et pendant qu’on en est à parler de fioritures ou d’éléments inutiles, l’absence d’effets spéciaux ou de motion capture (comme c’était le cas dans Gravity, l’autre huis-clos cinématographique dont on a beaucoup entendu parler récemment) permet de mettre toute la lumière sur l’interprétation de l’unique acteur du film seul avec lui-même, face à la mer et à la mort. L’action s’étale sur une dizaine de jours mais on ne nous donne que très peu d’indices relatifs au temps qui passe; on sait juste que la nuit succède au jour et inversement – rien d’autre.

La performance de Robert Redfort est tout à la fois subtile et crédible, donnant un résultat global très émouvant sans jamais tomber dans le pathos ou la caricature. Robuste mais fragile, têtu, le personnage est déterminé à tenir jusqu’au bout et à ne pas s’apitoyer sur son sort. Pragmatique et plein de bon sens, le marin réagit à chaque nouvelle tuile qui lui tombe sur la tête, étanchant une fuite, sauvant les maigres vivres de la montée de l’eau, ou bricolant la radio défaillante pour envoyer un S.O.S… On perçoit bien le poids et l’importance de chacun de ses actes, parce que très clairement le moindre faux-pas pourrait lui coûter la vie ou endommager encore un peu plus le bateau (qui se retourne même parfois contre son capitaine). Malgré tout, son désespoir reste perceptible et d’autant plus poignant qu’il affecte un homme moyen et non une personne habituée à survivre dans des conditions extrêmes.

Les plans et angles choisis pour chaque caméra mettent chaque scène en valeur, rendant certaines scènes spectaculaires, d’autres étourdissantes ou poignantes. Le marin et le bateau ne sont qu’un minuscule point perdu sur un océan immense, et l’image a quelque chose d’assez symbolique, à la limite de l’onirique, avec de beaux couchers de soleil, des séquences sous-marines aux abords du bateau, sur fond de bruit des vagues, de sifflement du vent et de craquements du bateau. Le tout est remarquablement bien accompagné par l’envoûtante bande originale composée par Alex Ebert (My big break, A Most violent year…).

Les dialogues sont pratiquement inexistants, en dehors d’un ou deux appels à l’aide et de la lettre qu’il écrit à sa famille (et qui est donc lue en voix off) et du coup, l’essentiel passe dans le jeu de Robert Redford. All is Lost est épuré mais spectaculaire à la fois et constitue à mon sens un gros pavé lancé dans la mare où s’empoignent des films à gros budget qui misent beaucoup plus sur les effets spéciaux et les scènes d’explosions pour faire réagir le public que sur la contextualisation des scènes et le jeu des acteurs. Et en ce sens, j’ai pris une claque beaucoup plus grosse devant All is Lost que devant Interstellar.

Je recommande All is Lost à tous les mordus de films survival et les performances à couper le souffle. Robert Redford nous tient en haleine du début à la fin du film, seul responsable de son intensité et de la profondeur que dégage son personnage lorsqu’il doit faire des choix importants pour la suite. Le silence a parfois plus de poids que n’importe quoi d’autre, et clairement, All is Lost réussit le pari d’émouvoir et de transporter… sans aucun artifice.
britishg3eks
8
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le 23 déc. 2014

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