« Une année, un film » : Allemagne année zéro, réalisé par Roberto Rossellini et sorti en France le 2 février 1949.


Afin d’achever cette décennie, terminons sur une note néoréaliste signée Roberto Rossellini, qui choisit de s’intéresser au Berlin d’après-guerre et à la vie de ses habitants.


Dans les ruines de la capitale allemande, ravagée par les bombardements et la guerre, les gens continuent de se battre, pour survivre dans un pays à l’agonie, ruiné. C’est le cas de la famille Kohler, qui vit dans un appartement, partagé avec d’autres personnes. Vivant plus que chichement, tous ont leurs préoccupations. Edmund, le petit frère, essaie de travailler pour ramener de l’argent, mais il est trop jeune. Karl-Heinz, le grand frère, se terre pour éviter d’être repéré par les autorités, à cause de ses activités au sein de la Wehrmacht lors de la guerre. Eva, la sœur, tient la maison pendant qu’elle fréquente les soldats Alliés le soir pour ramener des cigarettes. Enfin, le père, lui, est gravement malade et est alité toute la journée. C’est dans ce cadre peu enchanteur que cette famille tente donc de s’extirper de cette situation désespérée.


Nous revoici donc en présence de Roberto Rossellini, cinéaste emblématique du mouvement néoréaliste, à l’image d'un de ses précédents films, Rome, ville ouverte, sorti quatre ans plus tôt. La démarche reste ici la même : décrire, montrer, mais ne pas extrapoler, comme en témoigne un discours introductif : « Ce film, tourné à Berlin l’été 1947, ne veut qu’être un tableau objectif et fidèle de cette ville immense à demi détruite où 3 millions et demi de personnes vivent une vie désespérée sans presque s’en rendre compte. La tragédie leur est naturelle non pas par grandeur d’âme, mais par lassitude. Ce n’est pas un acte d’accusation contre le peuple allemand ni sa défense. Mais si quelqu’un après avoir vu l’histoire d’Edmund pense qu’il faut apprendre aux enfants allemands à ré-aimer la vie, l’auteur de ce film aura sa récompense. » Voilà. Ces quelques lignes résument parfaitement la démarche du réalisateur à travers ce film.


Il y a beaucoup de choses à dire sur ce Allemagne année zéro, qui ne dure pourtant qu’un peu plus d’une heure. Ce qui frappe, c’est la manière dont Rossellini ne laisse ici rien au hasard. La photographie est parfaite, montrant des images impressionnantes de Berlin, grande capitale européenne, réduite en un tas de gravats géant. Si le souci du détail et de la restitution fidèle des faits est chère aux réalisateurs néoréalistes, il vont pousser le vice jusqu’au choix-même des acteurs. En effet, pour ce film, Rossellini n’a choisi aucun acteur professionnel pour incarner ses personnages. Ainsi, Ermst Pittschau, qui incarne le père, était une ancienne vedette du cinéma muet dans les années 1910, retrouvé assis sur les marches de l’escalier d’entrée d’une maison de retraite. Ingetraud Hinze, ancienne danseuse-étoile, qui incarne Eva, a été repérée par le réalisateur lorsqu’elle faisait la queue pour avoir de la nourriture. Enfin, Edmund, le personnage principal, est incarné par Edmund Meschke, repéré par le réalisateur lors d’un spectacle de cirque, ainsi que pour sa ressemblance avec Romano Rossellini, le fils défunt du réalisateur. On comprend donc mieux le naturel de ces acteurs improvisés qui s’intègrent parfaitement au sombre tableau du Berlin d’après-guerre, une ville ruinée, en proie à la famine et à la misère, où les gens sont sans cesse privés, et où le marché noir n’a de cesse que d’accroître son influence.


Le choix d’un enfant comme personnage principal est judicieux et totalement volontaire. En effet, voir un enfant ainsi exposé aux cruautés de la vie ne peut que nourrir notre empathie envers lui et, bien qu’il s’agisse d’un film à vocation descriptive, on ne peut qu’être scandalisés de voir que des gens ont ainsi vécu dans l’indifférence. Pourtant cet enfant est très dégourdi, il se bat, modèle de bravoure, visage angélique perdu dans l’enfer de la réalité. Un ange rapidement corrompu par le mal qui l’entoure, ultime lueur d’espoir qui se retrouve fatalement étouffée par l’obscurité. Le titre du film, Allemagne année zéro, est d’ailleurs des plus évocateurs. C’est le signe d’un nouveau départ, un retour aux sources dans un nouveau monde qu’il vaut bâtir sur des ruines, comme si l’apocalypse s’était abattue sur Berlin.


Dans cette ambiance lourde et pesante, il n’y a pas de place pour l’espoir. En une heure, Rossellini parvient à exploiter tout une palette de personnages divers et variés, nous immergeant littéralement dans ce climat hostile, et parvenant à nous faire vivre le malheur de cette population miséreuse. Il n’y a pas vraiment de mots pour décrire le tout sans l’avoir vu, si ce n’est que Roberto Rossellini le fait une nouvelle fois avec efficacité, fidèle aux préceptes du mouvement qu’il représente, pointant du doigt des évènements bien souvent ignorés, témoignage d’un drame immense qui ne devrait plus appartenir qu’au passé.


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JKDZ29

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