Le temps fait toujours son œuvre lorsqu'il s'agit de reconnaître les grands auteurs. Une première reconnaissance critique à mi-parcours soit 20 ans tout juste après Duel, La Liste de Schindler moissonne les Oscars à une époque où la petite statuette dorée voulait encore dire quelque chose. Puis une seconde durant les années post 11 Septembre par les prismes de la SF et de l'espionnage hardcore. On l'aura compris, pour être adoubé, il faut être un anar de gauche (entendons ici anti-ricain) ou bien peintre de son époque car L'Art en dit beaucoup sur les dérives de notre société. En 1989,  Spielberg n'est rien de tout cela. Au pire, un money maker servile, au mieux un amuseur public et tant pis si le mélodrame La Couleur Pourpre et le drame de guerre Empire du soleil ne lui ont apporté aucune reconnaissance. L'auteur n'est pas encore prouvé et seul prime "l'industriel" plus communément appelé le capitaliste triomphant aux idéologies conservatrices.Un raccourci qui omet d'évoquer le trauma du divorce, monstre thématique omniprésent dans la carrière du Wonder boy.


De nos jours, de telles accusations pourraient paraître d'une idiotie sans nom si Spielberg lui-même n'avait pas donné raison à l'éminente critique Pauline Kael qui voyait en ce réalisateur un type doué mais manquant encore de fond. Sport, l'auteur de Jaws l'avoue sans detour : "La maturité est arrivée plus tard". Une sincérité au regard d'une filmographie passionnante mais dont la zone d'ombre réside dans le passage aux années 90. Mentionnée dans aucune bio, Spielberg a dévoilé entre 1989 et 1992 une importante faille dans cette formidable machine à rêves qu'il a bâti à la sueur de son imaginaire. Un talon d'Achille qui ne relève aucunement du trip égocentrique à la 1941 mais qui s'attarde plus sur la psychanalyse de l'homme mûre qui n'aurait pas réglé une certaine carence affective. Le doute s'est alors installé lorsque le troisième volet d'Indiana Jones révélait quelques lacunes visuelles, écueils inédits dans la filmographie d'un réalisateur habitué à l'élégance formelle. En 1991, Hook, swashbuckler dépressif entérinait la méforme d'un artiste plus occupé à régler des comptes personnels qu'à retrouver cet équilibre si précieux qui caractérisait son oeuvre. Si le temps à finalement donné raison au chapitre final d'Indy (il figure aujourd'hui comme le volet préféré toutes générations confondues) et l'accession de son Peter Pan au rang de film culte, les multiples écarts artistiques interpellent quant à la perte de Mojo du futur réalisateur de Jurassic Park.


Au milieu de ces deux mastodontes, Always ne trouvera jamais la reconnaissance du public. Film symptomatique d'une période difficile, ce second film sorti en 1989 quelques mois à peine après le hit de La Dernière Croisade quitte rapidement l'affiche dans l'indifférence totale. L'identité même de ce nouveau long métrage est au coeur de l'incompréhension. Spielberg a "égoïstement" mis en scène la fracture du couple puis le deuil sur un socle pré-existant à savoir le film de Victor Fleming A Guy named Joe. Always ne parle donc qu'à lui et ne s'adresse qu'à ceux qui connaissent de son cinéma, ses règles et ses codes. La base étant l'exercice du remake, il ne restait qu'à retirer le vernis de la fascination inhérent à chaque film du cinéaste. Ainsi l'oeuvre reflète la spiritualité de son auteur mais revêt un habillage épuré étrangement dépourvu de spectaculaire. Si Always est aussi impopulaire c'est aussi par pudeur parce que Spielberg demande à son audience de baisser ses attentes et d'aller chercher au-delà du spectacle tout en s'abandonnnant à un film qui ne galvanise aucunement mais qui expérimente une nouvelle gamme d'émotions. Tout comme Hook et son Peter Pan psychologiquement torturé, Pete (Richard Dreyfuss) doit guider son successeur (Brad Johnson) dans l'exercice de ses fonctions mais aussi de le conduire dans les bras de sa veuve (Holly Hunter) afin qu'elle soit libérée de son deuil. Tout aussi alambiqué que le kidnapping des enfants de Pan par un Captain Crochet en père de substitution, Always navigue en eaux troubles réprimant les sanglots de son personnage principal au nom d'une mission divine. Voir sa femme coucher avec un rival et faire de lui un héros sur le terrain, une certaine idée du masochisme qui serait à mettre tout en haut de la longue liste des freins au visionnage. Pour une morale Judeo Chrétienne consistant à faire passer le devoir et les obligations avant tout, on peut dire sans crainte que Spielberg n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. La notion de sacrifice y est clairement claironnée.


De ce fait Always est certainement l'une des expériences de spectateur les plus étranges de la filmographie de son auteur. L'iconographie religieuse dont le film se pare et qui mènera Pete dans l'au-delà n'a absolument rien de frontale. Elle se devine au détour d'une source lumineuse ou par le biais de dominantes chaudes ou froides. Elle sert le film tout en l'illustrant symboliquement. Le travail du chef opérateur Mikael Salomon spécialiste de l'eau (Abyss) et du feu (Backdraft) et de Spielberg consiste à guider le spectateur dans cette voie spirituelle toute tracée. L'utilisation de rayons de soleil chatoyants ou de lumière bleutée comme l'éclairage de face semblable à une aura durant l'ouverture d'un réfrigérateur est quelques unes des nombreuses astuces de narration visuelle pure en forme de build up. Il est d'ailleurs regrettable en tant qu'admirateur de Abyss de n'avoir pu assister qu'à une seule alliance de Mikael Salomon et du metteur en scène de E.T.. Allen Daviau alors responsable des magnifiques cadres des précédents longs métrages de Spielberg se voit ici remplacer de la plus belle des manières rattrapant par la même occasion les intérieurs timorés de Douglas Slocombe sur La Dernière Croisade. Always est bel et bien une superbe réussite visuelle merveilleusement contée. Elle n'en demeure pas moins une expérience non pas maladroite comme on a pu l'entendre ici et là mais frustrante.


La frustration est aussi un sentiment de cinéma. Le traitement de l'héroïsme est inhabituel puisque chaque action est dictée par Pete sans interaction réelle avec ses amis. C'est le prix qu'il paie pour son passage dans l'au-delà mais c'est aussi un refus de Spielberg d'aborder le courage et la témérité de manière classique. Always se refuse au spectateur comme il refuse d'aborder un genre bien précis et de l'exploiter au sens strict du terme. Pour preuve Ghost de Jerry Zucker sorti quelques mois plus tard et traitant du même sujet en milieu urbain a obtenu un résultat stratosphérique. Le film de Zucker lâchait les chevaux de l'émotion et offrait un condensé de spectaculaire là où Spielberg refrénait ses ardeurs pour susciter au mieux la mélancolie. Plus surprenant encore, Backdraft de Ron Howard possédant également des accointances s'assurait un confortable box office pour son authentique regard sur les soldats du feu sans fioriture ni décalage romantique (ou si peu). Le réalisateur de Jurassic Park ambitionne un film au confluent de la tragédie, du romantisme et du fantastique. L'écartèlement des genres et les pleurs étouffés n'ont pas été entendus aussi bien que Spielberg l'aurait souhaité. Always achève donc une trilogie non officielle sur l'expérience de la vie couplée à l'élévation spirituelle entamée par Rencontres du troisième type et E.T. L'affiche du film synthétise cette période emplie de ciels étoilés et de désenchantement subtils si chère au cinéaste.

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le 12 juin 2021

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