Souvent critiqué pour sa faible véracité historique, mettant en avant une rivalité mêlée d’admiration entre deux grands compositeurs, Antonio Salieri et Wolfgang Amadeus Mozart, Amadeus reste considéré comme le plus grand film jamais fait sur la musique classique.
Son aura de chef-d’œuvre est telle qu’aucun autre cinéaste ne s’est depuis attaqué à la vie du plus mythique des compositeurs, malgré le caractère romanesque et bigarré de celle-ci.
Amadeus se hisse-t-il réellement au niveau de son sujet ?


Alerte ! Cette critique contient des spoilers. Si vous n'avez jamais vu Amadeus, vous savez ce qu'il vous reste à faire.


Toujours présent ? Bien, commençons.


Chose impossible à passer sous silence, la musique du film. Grandiose, enjouée, dramatique, vivante ; une succession de grands morceaux, tous plus marquants les uns que les autres. Opéras, concertos, requiem, tout le grand catalogue du génie autrichien est passé en revue, même si certains puristes regretteront sans doute l’absence de quelques grandes compositions. Cependant, si il avait fallu en rajouter, ce n’est plus un film, mais une véritable série qu’il aurait fallu concevoir, tant l’homme fut à la fois prolifique et inspiré.
Si Salieri, personnage principal et narrateur, a lui aussi droit à quelques moments de gloire sonores, nous nous rendons bien vite compte (aussi bien que lui-même l’admet) que, en dépit de son immense talent, il n’est que peu de chose à côté de Mozart.
Les scènes de création sont souvent à l’image de nos deux protagonistes. Mozart, en surdoué des notes, écrit sans retouche et d’une traite ses œuvres, tout en se distrayant, buvant. Salieri noircit ses pages dans une ambiance feutrée, testant sans relâches ses sonorités et retouchant son travail. Tous deux travailleurs acharnés, mais au talent différent.


Les opéras sont filmés avec méthode et intelligence ; plutôt que de montrer uniquement la scène et son action, comme il est d’usage, Forman ( RIP) s’attache à accorder au compositeur et au public sa place. Les plans varient ainsi entre scène, compositeur/chef d’orchestre passionné, scène, public, et ainsi de suite. L’ennui parfois inhérent à des chorégraphies, certes majestueuses, mais anciennes, s’en retrouve de ce fait éliminé.
La puissance de chaque œuvre est retranscrite avec beaucoup de justesse, en particulier pour Don Giovanni, central dans le récit de Salieri et son dessein. Cet opéra a droit à un temps de présence à l’écran bien plus conséquent que les autres, ce qui renforce l’impact de la mort du père de Mozart, que nous n’avons que peu vu à l’écran. Le drame, la tension qui se dégage de cette scène marque un véritable tournant dans le film, qui conduira à la chute progressive de l’immense Mozart.


Pas de grande musique sans grand compositeur. Pas de grand film sans grands acteurs. Si Mozart est le sujet du film, Salieri en est, comme dit précédemment, le narrateur, celui par lequel nous apprenons à connaître Mozart. Cette idée est intéressante ; pour s’approcher du génie, monstre sacré, il nous faut un pont, un lien. Salieri est un compositeur très talentueux ; compositeur officiel de la cour. Il est cependant bien vite dépassé par la fulgurance de l’autrichien, ce qui le place dans une position d’homme « normal » vis-à-vis d’une sorte de montagne infranchissable.
Il est également intéressant de noter que, pour nous attacher à Salieri, qui nous est pourtant totalement étranger et inconnu, puisque nous sommes venu voir un film portant sur la vie de Mozart. Mais il est bien plus astucieux de nous faire observer Mozart par le prisme d’un homme de son époque, à la fois très similaire dans sa fonction, mais aussi profondément opposé dans sa personne.
En effet, là où Salieri est pieux, dévoué à sa tâche, Mozart est un fêtard, joyeux, extravagant, déluré. Là où Salieri agit en homme d’influence, expérimenté, au service du roi, Mozart se fiche des convenances établies, provoque, et ne fait montre d’aucune forme de modestie.
Lorsque Salieri fait le récit de la vie de Mozart, il le nomme à certaines occasions la créature. Et c’est bien là la différence entre nos deux musiciens ; Mozart est un monstre, un monstre de talent, de créativité, de provocation. Sûr de lui, rétorquant au roi sans vergogne, quitte à s’attirer les foudres de ses sbires et à finir sa vie loin de la gloire qui lui était promise. Créature séduisante également, puisque dérobant sous les yeux de Salieri le cœur de la femme dont il s’était épris, en se gardant bien toutefois de tenter de la séduire.
Cependant, malgré toute cette haine, cette aversion viscérale et complète, une admiration totale et sincère dominait chez Salieri. Admiration du talent, visible dans la scène où il lit les originaux du compositeur, exempts de toute forme de correction, et où il réalise l’étendue du génie de ce dernier. Car si Mozart est un génie musical, son caractère volage et enjoué à l’excès lui empêche de pouvoir accéder à des niveaux d’influence que Salieri, grâce à son expérience et son langage plein de retenue, possède déjà depuis de nombreuses années.
La relation entretenue par nos deux protagonistes est étonnante. Mêlée d’admiration, de haine, de dégoût d’un côté, d’indifférence, puis de reconnaissance de l’autre. Mozart ne pense en effet qu’à sa musique, et est sûr d’être le plus grand compositeur de son temps, ce que Salieri lui confie avec humilité. Cependant, l’égo de notre personnage principal est profondément attaqué à chaque représentation du prodige, auxquelles il se rend avec ferveur, tout en veillant à ce que les opéras de Mozart ne rencontrent qu’un succès inversement proportionnel à son talent.
La première rencontre frontale entre les deux compositeurs, dans laquelle Wolfgang s’amuse à retoucher la composition de Salieri sans préparation, pour en créer une version plus complexe et aboutie, pourrait à elle seule résumer cette relation. Admiration, dégoût, haine, et innocence mêlée d’arrogance.
Abordons un moment les interprètes. F. Murray Abraham livre un Salieri tout en nuances et discrétion, à la limite de la déférence lorsqu’il s’adresse à l’empereur (limite que les autres personnages franchissent tous allègrement, excepté Mozart bien entendu). L’acteur trouve ici sans nul doute le rôle de sa vie, rôle pour lequel il obtiendra d’ailleurs un Oscar en 1985, totalement mérité. La retenue, les sourires, la passion de la composition et de la prière forment un ensemble varié, aussi varié que la musique de Mozart. Mozart, interprété par Tom Hulce, uniquement connu pour cet unique rôle par ailleurs (les plus pointilleux citeront ici le Frankenstein de Brannagh), est l’antithèse de Salieri. Force du contraste, le montrant comme un jeune homme fougueux, vivant son enfance gâchée par des heures de représentation en Europe au moment où il devient adulte, au comportement puéril, jovial et bavard, n’hésitant pas à défier l’empereur et le cardinal.
Une chose a marqué au fer rouge, en bien ou en mal, les spectateurs du film au sujet du jeu de Tom Hulce : le rire de Mozart. Véritable vocalise tout droit sorti de la cage aux folles, il peut dérouter, agacer, mais demeure, d’un point de vue totalement personnel, d’une grande cohérence avec le personnage.


L’intelligence manipulatrice de Salieri, ayant réussi à s’attirer toute la confiance du jeune Mozart, ira même jusqu’à le conduire à la déchéance de la fin de sa vie. Mozart, pauvre, sombrant dans l’alcool, affaibli, composera lui-même le requiem, aidé par Salieri, parachevant l’œuvre macabre de ce dernier.
Salieri reste pour autant lucide quant à son admiration sans borne pour Mozart, l’élevant au même niveau qu’un Dieu, et se constituant en champion des médiocres. Un Dieu au comportement plus proche du démon que de l’ange, mais restant, aux yeux de notre Poulidor, son Dieu.
Au crépuscule de son existence, Salieri se livre à l’homme d’église voulant recueillir sa confession. Tout en parlant, nous remarquons à quel point l’homme s’étonne de la volonté de ce Dieu, puisque lui ayant, selon lui, permis de réaliser son rêve de devenir compositeur, mais ayant également placé sur sa route un obstacle infranchissable : Mozart. Pourquoi ce choix ? Pourquoi lui avoir donné la chance de réaliser son rêve, tout en lui empêchant de devenir le plus grand ?
Les voies du seigneur sont impénétrables, et on perçoit autant la malice du vieux Salieri, dans sa déconstruction méthodique du divin autant que dans le désarroi qu’il sème chez l’homme d’église.
Le spectateur plus averti aura, de plus, remarqué l’amour de Forman pour les êtres fous, étranges, difformes (asile, comportement de Mozart, mines caricaturales des conseillers) dont il élève la condition au rang de l’exceptionnel. Le divin semble bien absent d’Amadeus : la justice des hommes est cruelle, mais l’immortalité du talent de Mozart demeure, envers et contre tous.

Liopleurodon
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le 28 avr. 2018

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Liopleurodon

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