Les questions sur la véracité des faits montrés dans le film, sur la qualification de "biopic", sur le rôle de la fiction, elles se posent, et elles font débat (la preuve ici dans cet échange enflammé entre Wobot, LeMicka, Lt Schaffer, Limguela... Cf en dessous de cette critique, dans une activité précédente)

Personnellement je suis un peu emmerdé avec ce film et la représentation de la relation Salieri/Mozart.
Dans l'absolu, je suis totalement d'accord avec l'idée de la fiction, et de la prise nécessaire de liberté avec les éléments du réel pour créer une oeuvre personnelle, tout en gardant cependant un certain soupçon de fidélité.

C'est ce que font merveilleusement deux de mes réalisateurs préférés, Fellini et Ken Russell. Là il n y' a aucun doute, nous ne sommes pas dans le réel, nous sommes dans une reconstruction, dans une succession de délires grandioses et de scènes WTF, et pourtant toutes les grandes étapes de la vie de Casanova, Mahler, Tchaikovsky, Valentino and co, sont soigneusement respectées.

On est dans la fiction, et on le sait, il n'y aucun doute là-dessus, aucune ambiguïté. Il y a quelque chose de merveilleux et de sain dans l'idée de réinterpréter librement des personnages en permanence au fil des oeuvres, pour en exploiter/exagérer de multiples facettes.

Le problème d'"Amadeus" à mon avis, c'est qu'il y a une ambiguïté. A cause du traitement très académique, on finit par avoir le sentiment que le film représente les vraies vies des personnages telles qu'elles se sont réellement déroulées. Il y manque un décalage qui permettrait de mieux faire la part des choses.

Pire, l'image de Salieri est désormais définitivement ancrée dans l'imaginaire collectif, comme celui qui aura été toute sa vie, le gros jaloux, le frustré, l'hypocrite.
Salieri est devenu F Murray Abraham (grâce à sa prestation, et à son charisme renversant, rarement la distinction personnage/acteur aura semblé aussi mince).

Alors que dans les faits, il semble tout simplement que Salieri était un mec puissant, riche, apprécié, et qui n'avait aucune raison particulière d'être jaloux de Mozart qui galérait comme pas possible.

Donc tout le long du film, je me suis demandé si on se foutait pas de ma gueule et si tout n'était pas excessivement romancé. Quand on prend de grosses libertés avec l'histoire, faut-il dès lors l'assumer en abolissant tout traitement académique ? (Vous avez trois heures).

Ensuite...

Gros, gros souci de narration. Gros souci d'écriture !
Le film utilise la structure bâtarde du flash back général :
Un vieux Salieri raconte sa vie (il se confesse) à un prêtre dans un hôpital de fous.

Très casse-gueule, car cette structure de récit est potentiellement complètement inutile et peut phagocyter le dynamisme d'un récit.

Dans Barry Lyndon, il y a juste une voix-off qui intervient de temps en temps pour raconter/expliquer l'histoire, et ça marche très bien, pas besoin de faire de sauts concrets dans le temps.

Dans Mahler de Ken Russell, il y a des sauts présent/passé avec un flashback général, mais il y a des enjeux essentiels qui se jouent parallèlement sur les deux niveaux de récit, qui s'entre-éclairent mutuellement.

Ici, rien.
C'est complètement figé, Salieri est vieux, fatigué, à la ramasse, il raconte son histoire à un pauvre mec qui fait des yeux de chien battu, et c'est tout.

Mais il y a bien pire...

1- Déjà le maquillage de vieillard de Salieri est absolument ignoble, donc il faut en supporter la vision.
2- Mais il faut aussi supporter le contrechamp encore plus inutile du prêtre qui l'écoute!
Il ne sert strictement à rien, à part présenter sa face de moule inexpressive en gros plan. (Nan mais regardez-moi cette testasse http://image.noelshack.com/fichiers/2014/14/1396783178-richard-frank-2.gif )

Et régulièrement dans la première partie du film, on a ce contrechamp du prêtre qui écoute, et on se demande si Forman ne voulait pas faire plaisir à un ami pour le mettre dans son film...

Et ce qui est drôle, c'est que progressivement, ces contrechamps finissent par disparaître, et on ne finit plus que par voir Salieri parler tout seul. Le prêtre disparaît du film, comme si les monteurs s'étaient enfin rendus compte au bout du 45ème plan sur son regard vide, que c'était une perte de temps, et un gâchis de pellicule.

C'est un peu faiblard quoi, le personnage du prêtre n'existe que pour justifier la narration, pour que Salieri raconte son histoire au spectateur. C'est finalement plus un parasite qu'autre chose, et on aurait très bien pu s'en débarrasser sans difficulté. Le problème c'est que cela donne d'emblée un côté très artificiel (dans le mauvais sens du terme) et lourdingue au film.

* Maintenant petit catalogues des choses bonnes et moins bonnes du film :

- La première partie du film est assez extra, rythmée, dynamique, ça enchaîne (peut-être un peu trop vite, on voudrait même parfois se poser un peu plus, profiter des décors plus longuement, de l'ambiance, découvrir plus en détail cet univers)
- Le film est globalement un peu superficiel, l'histoire est assez simple (Salieri rage, Mozart s'écroule, les opéras s'enchaînent de façon illustrative...)
- La confrontation Salieri/Mozart est super classique, mais il y a des bons mots, des bons dialogues, c'est assez drôle.
- Jeffrey Jones, dans le rôle de l'empereur, est pour moi la révélation du film. Rondouillard, et globuleux, une gueule impayable, un sourire en coin, et une coolitude inégalable.
- Tom Hulce est bon, mais il devient assez exaspérant dans le seconde partie du film, plus sombre, et moins réussie, moins bien rythmée, plus chiante même (parce que ça tourne en boucle). Son rire dément est marrant les 5 premières fois, après j'en pouvais plus.
- Le film a presque failli me dégoûter de la musique de Mozart, elle devient bien trop envahissante dans la seconde partie du film, c'est assez fatigant. On n'est jamais très loin du piège du clip, et en plus dans ce déluge sonore, il y manque sa musique que je préfère : Eine kleine nachtmusik - Romance andante https://www.youtube.com/watch?v=WGK3zsbPj5Q )

Au bout du compte, "Amadeus" que j'avais déjà vu dans le cadre scolaire, et que j'avais trouvé pas mal sans plus, est un bon film, mais qui déçoit un peu en s'écroulant sur la durée. Les enjeux ne sont pas si passionnants que ça, les personnages un peu vides (les seconds rôles de la seconde partie sont ratés, Simon Callow par exemple est incroyablement sous-exploité).
Peut-être un peu généreux sur mon 7, mais bon c'est indéniablement bien foutu, y a quelques éclairs dans la mise en scène, et ça passe plutôt rapidement pour sa durée mastodonte (bien plus vite qu'un Barberousse par exemple héhé).

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le 6 avr. 2014

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KingRabbit

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