Le deuil occupait déjà Ce sentiment de l’été, précédent film de Mikhaël Hers, trouant son entourage et l’obligeant, au fil d’ellipses annuelles, à poursuivre sa route. Amanda reprend le même motif, mais en resserrant les mailles : la temporalité se condense, et les satellites impactés plus proches encore : assassinée dans un attentat, la victime laisse sur le carreau sa fille sans père et son jeune frère de 24 ans, qui va se retrouver face à une posture imprévue.


On retrouve un donc un certain nombre de motifs du cinéma de Hers, qui joue sur la mobilité (le vélo occupe encore une place importante) et des instants du quotidien pour laisser émerger la vérité de ses personnages. Il faut un petit temps d’adaptation pour se mettre au diapason d’une partition dont l’authenticité semble un peu trébucher par moments, comme on le ferait avec de nouvelles connaissances, et comme le font ces protagonistes contraints de cohabiter d’une nouvelle manière.


Le cinéma de Mikhaël Hers se compose par touches successives, et refuse la clarté d’un discours verbalisé. Ainsi de ce traitement plutôt pudique de l’attentat et de ses conséquences, à hauteur d’enfant, où la ville est quadrillée par les forces armées qui l’empêchent notamment de rejoindre son parc habituel. Amanda traverse un monde dont les frontières bougent brusquement, et qui n’a pas les moyens d’en prendre immédiatement conscience. C’est cet instant d’hébétement, qui peut s’installer dans la durée, qui intéresse le cinéaste. Le fait qu’on doive continuer à se lever le matin, aller à l’école ou élaguer les arbres, accumulant les journées sans réellement prendre de décisions, à l’inverse de ce qu’un certain classicisme romanesque exigerait, par accumulation de grands temps forts.


David est à la croisée de trois destins de femmes : sa nièce, dont la force étonne, et qui, bien entendu, repousse le plus possible l’acceptation du deuil ; Léna, une idylle naissante brisée par la violence de l’attentat et qui fuit à rebours de sa vie en quittant Paris pour sa région natale, incapable d’épauler d’autres douleurs que la sienne ; et sa propre mère, partie 20 ans plus tôt pour Londres, et que sa défunte sœur prévoyait de revoir avant sa disparition. A lui d’apporter sa contribution, de se laisser happer, de baisser la garde ou de se battre pour réinjecter de la vie. Cette géométrie variable et ténue, qui laisse toujours la place aux autres et prend soin de ne pas faire du protagoniste un héros qui centraliserait à lui seul toutes les étapes de la reconstruction creuse la vision que Hers donne de ses personnages au fil de son œuvre : ils sont la somme de leurs désirs, leurs réactions et l’influence qu’ils subissent.


Le destin d’Amanda passe par le même processus : au contact des autres, au sein de ces nouvelles frontières, établir un état des lieux. Admettre que les moments vécus avec sa mère se transforment en souvenirs, et réaffleurent pour acter sa disparition, à l’image de cette très belle séquence du match où le déplacement des enjeux sur un épisode secondaire prend des allures de catharsis. Se dessine ici la poétique modeste et touchante du cinéaste, qui traque, dans le non-dit et l’éphémère, la vérité fragilement formulée des blessés.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 1 avr. 2019

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