"Explosion à l'usine de postiches" : c'est la pique habile qu'a balancé la géniale Tina Fey aux Golden Globes pour qualifier le David O.Russell nouveau. Lequel semble en effet s'être spécialisé depuis son retour en grâce dans des pastiches où tout n'est que question de façade et d'effets de semblance : le film de boxe by-the-numbers avec le par ailleurs pas mal Fighter, le feel-good movie solide avec Silver Linings Playbook...et donc aujourd'hui avec American Bluff la fresque mafieuse scorsesienne au casting rutilant et à la BO d'époque d'un imparable bon goût. Mais la reconstitution impeccable donne aussi au film un lissage radical, qui n'offre qu'un faible contrepoint théorique pour se justifier : il s'agirait de révéler l'artifice derrière le rutilant du spectacle, la part de décomposition derrière la flamboyante ascension de ses escrocs, discours asséné à grands coups de symboles très appuyés (le vernis qui sent "les fleurs et un arrière-goût d'ordures", une scène inaugurale de composition capillaire devant le miroir...). Tout un arsenal méta qui prend vite des allures de cache-misère sursignifié, surtout que tout se passe comme si Russell ignorait que cette monstration d'un envers du décor est tout ce que la fresque mafieuse a toujours raconté, et avec autrement plus de subtilité, d'empathie, et autrement moins d'ostentation. Ainsi, à force de faire tournoyer sa caméra, certes élégamment, dans ses décors immaculés, et de parsemer de clins d'oeil un peu lourdauds et parfaitement fonctionnels (le caméo secret du film, très non-événementiel...) son propos, Russell finit par faire virer American Bluff à la démonstration de force désincarnée, qui voyage avec autant de maîtrise que de froideur dans les eaux sereines d'un genre qu'il aseptise plus qu'il ne dynamite. La seule explosion a donc bien eu lieu à l'usine de postiches, et ses héros comme ses visiteurs finissent tous par se noyer un peu dans la laque.
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