À chacune de ses étapes, à chaque halte dans des motels avec piscine ou dans des maisons en location, le road trip entrepris par American Honey prolonge un peu plus sa cartographie de la misère américaine : des solitudes millionnaires à la pauvreté économique et culturelle de familles contraintes de vivre sans figures parentales viables – ou de compenser leur absence, à l’instar de la fuite que fait subir Star à ses deux enfants en guise de préambule –, nous voyageons entre les extrêmes au son d’une playlist endiablée que crachent les enceintes du van.


Le long métrage brosse le portrait d’une communauté alternative vivant en marge du monde et pourtant au cœur du monde, arpentant ses beaux quartiers comme ses banlieues, partageant ses valeurs le temps d’un entretien commercial ; un microcosme qui rejoue en mode mineur les lois qui régissent le monde, depuis la tête toute-puissante jusqu’aux travailleurs constamment menacés d’expulsion. Aussi la camionnette et ses occupants offrent-ils un observatoire en minuscule où sont captés les déséquilibres de la société américaine, et les situations vécues un kaléidoscope de possibles que Star explore de façon libérée et sauvage.


Car le film d’Andrea Arnold relève de la sauvagerie quasi primitive, les corps n’ayant de cesse de se toucher, de s’exhiber – pensons ici à Corey qui passe son temps à montrer son entrejambe – ou de se cogner lors d’un rituel des losers qui n’est pas sans rappeler Fight Club. Nous errons dans un espace-temps incertain, comme coupé de la chronologie et de sa dimension horizontale, puisqu’il opère par couches successives qui s’accumulent à la manière d’un sol stratifié : rien ne s’emboîte, rien ne fait sens, tout s’entasse, et le montage insiste sur ce point en collant les journées les unes aux autres comme prises dans un sempiternel recommencement. Le long métrage établit d’ailleurs un ensemble de rituels qui incorporent aussitôt le spectateur au groupe : les règles de Krystal apprises par cœur, le départ du motel, la répartition des binômes sur le territoire de jeu, le retour en van, l’arrivée dans un autre motel etc.


American Honey louvoie entre l’adulte et l’adolescent, est pris d’un mouvement qui se casse et se heurte aux rituels mis en place ; il capte merveilleusement bien cette tension entre le confort procuré par la règle et le plaisir libertaire pris à la transgresser, cette tension qui injecte dans la relation qui unit et désunit Star et Jake une passion subite, subtile, brutale, dont l’expression naïve n’est autre qu’un trésor enfantin amassé au fil des jours : tout ce qui brille… Une œuvre immense portée par deux acteurs envoûtants : Sasha Lane et Shia LaBeouf.

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le 4 nov. 2020

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