Concept clé, dystopie, home-invasion et traitement foiré

Succès surprise du box-office du mois de juin aux Etats-Unis, The Purge auréolé de cette notoriété inattendue s'est vu programmer dans la foulée une date de sortie dans l’hexagone. Réintitulé American Nightmare, les distributeurs français ont une nouvelle fois fait preuve d'imagination débordante pour la traduction "francophone" de ce long-métrage, certainement pour éviter le jeu de mot avec purge ou pour donner ce côté très américain au film. Quoi qu'il en soit, le succès brusque a su éveiller la curiosité de certains cinéphiles pour qui The Purge n'était bon qu'à être un Direct-to-video. A la tête de cette production, il y a James DeMonaco, réalisateur et scénariste, aidé par le producteur Jason Blum (Saga Paranormal Activity, Insidious, Sinister, etc.) et financé par la boîte de Michael Bay. Autant dire que le film se voit pris en charge par une équipe qui a déjà de la bouteille et finalement habituée aux succès surprise. Mais avoir de la bouteille ne signifie pas avoir du talent. James DeMonaco a de l'expérience dans le cinéma mais ce n'est que son deuxième film en tant que réalisateur après le dispensable Little New York, où il donnait déjà un rôle à Ethan Hawke. Mais comme le réalisateur a si bien aimé l'indiquer dans les interviews, American Nightmare est né de son imagination car il tenait à revendiquer une fascination malsaine de la société pour la violence, les disparités entre les classes sociales et surtout un problème d'ordre politique. Et dans une actualité où la présence d'armes dans la société est plus que jamais remise en cause, American Nightmare tombe très bien pour relancer le débat.

Ainsi le film démarre sur un postulat intéressant et un concept clé qui donne toute son originalité au film et qui s'intitule La Purge. Cette dernière se présente comme une nuit de douze heures où l'ensemble de la population a le droit de commettre les crimes les plus abominables et les plus condamnables qu'ils soient. Chacun a le droit de laisser parler le psychopathe qui sommeille au fond de lui, et étant donné qu'il s'agit d'une initiative gouvernementale, les autorités ont pour ordre de laisser se dérouler ce déchaînement de violence. Cette événement annuel a pour objectif de relâcher toutes toutes les pulsions violentes de l'homme canalisées au cours de l'année. Certains extraits médiatiques affirment que l'initiative a le mérite de réduire considérablement le taux de criminalité et de relancer l'économie du pays. Ainsi, aucune condamnation n’aura lieu dans ce laps de temps et chacun aura des raisons diverses et variées pour effectuer autant de meurtres que souhaitées. De la jalousie entre voisins aux petits bourgeois qui cherchent à se divertir en passant par des raisons sentimentales, chacun a ses raisons pour être assassin d’un soir. Une intrigue amorale et perturbante qui met le spectateur directement face à ses peurs. La peur de se retrouver dans une société où le crime n’est pas puni, où chacun peut être victime mais également bourreaux. Malheureusement, derrière une intrigue tout ce qu'il y a de plus intrigante, il y a traitement visuel et narratif de la part de James DeMonaco indigne du sujet dont il veut faire état.

ILl faut lui reconnaître un background qui capte une certaine attention et qui avait les moyens de dénoncer les actions entreprises par la politique pour contenir la propagation de crimes et de prendre un certain recul sur cette fascination de l’espèce humaine pour la violence et la mort. Il y avait cette idée de faire un film d’anticipation, de réfléchir sur le taux de criminalité dans le monde et d’évoquer une nouvelle fois cette disparité entre les classes sociales. Une disparité qui fait que les plus riches peuvent se permettre d’avoir des moyens de sécurité plus perfectionnés tandis que les plus pauvres ne peuvent compter que sur eux et leur habilité à se défendre, ou se battre. Mais toutes ces questions sont malheureusement effleurées par le réalisateur qui préfère se focaliser sur cette petite famille bourgeoise bien sage en apparence. Ainsi, le personnage d’Ethan Hawke est le numéro 1 de la sécurité à domicile et son dernier modèle est réputé infranchissable. Quelques heures avant la Purge, il se réfugie dans sa vaste demeure avec sa femme Lena Headey (Game of Thrones), son fils et sa fille qui fricote avec un jeune garçon plus âgé qu’elle. Ainsi, après un événement bien amené et plutôt inattendu, que certains pourront peut-être prédire, le film donne à croire après ça que l'intrigue va jouer avec les nerfs du spectateur et être aussi éprouvant qu'un grand-huit. Seulement, après ce retournement, le film tombe dans les limbes de l’ennui, de la médiocrité et du stéréotype. Et c’est d’autant plus frustrant qu’avec cette thématique dans un contexte de dystopie, il y avait matière à sortir plus qu’un simple film de massacre entre bonnes gens. Le réalisateur ne fait qu’évoquer cette disparité des classes, ce plaisir bourgeois de tuer, et les arguments de la société pour organiser un tel évenement. Sa caméra privilégie la famille, auquel le spectateur pourrait s’identifier, et tend à les rendre empathique. Sauf qu’entre le père de famille insensible, la mère transparente, le fils rempli d’humanité naïve et la fille égoïste, difficile d’éprouver de l'attachement à l’encontre de ces personnages. L’union qui les lie apparaît tellement artificielle que les tueurs semblent bien plus soudés que ces personnages fades et vides. Si dans Sinister, Ethan Hawke ne brillait pas, il arrivait tout de même à proposer un jeu inquiétant et proche d’un anti-héros. Ici, il est vide et la direction d’acteurs semble tellement hasardeuse qu’il semble lui-même se demander comment réagirait son personnage dans cette situation, en résulte un visage inexpressif au possible, niais au mieux. Heureusement qu’il est la tête d’affiche de ce film à petit budget car il y a fort à douter que le film aurait trouvé sa place dans les salles de cinéma si un acteur méconnu aurait pris la place d’Ethan Hawke. Et ce n’est pas le reste de la famille qui puisse sauver le navire du chavirement.

Le film dure moins d’une heure trente, mais il "ne s’envole véritablement" qu’au bout de cinquante minutes lorsque ces assassins d’un soir pénètrent la maison. American Nightmare se mue ainsi en vigilante et la caméra suit avec délectation le parcours de vengeance d’Ethan Hawke contre ses agresseurs. Il s’agit des meilleures minutes du film, car il est question du parcours d’un homme pour sauver sa famille et surtout pour sauver le peu d’humanité qu’il lui reste. Il devient un combattant du crime impuni. Dans ce sens, l’angle est intéressant mais à nouveau trop court et seulement effleuré. Dès lors, le film change d'angle et continue implicitement à évoquer les raisons pour lesquelles les gens puissent agir de la sorte et là, American Nightmare s’enfonce inexorablement pour laisser le spectateur assommé d'idioties devant ce final grotesque et caricatural, qui laisserait croire à une suite mais dont l’espoir serait qu’il ne retrouve plus jamais les salles de cinéma. Et puis, il serait dommage de spoiler toutes ces séquences stéréotypées déjà vu des dizaines de fois, comme le personnage antagoniste, Rhys Wakefield presque copie d'un personnage de Funny Games, qui n’a aucun remord à tuer ses propres compères tandis qu’il hésite ou prend son temps pour assassiner l’ensemble de la famille. Sans compter ce dénouement minable qui inspire le manque d'imagination du réalisateur et enterre définitivement le film, laissant une impression de désespoir quant à une bonne idée absolument mal traitée. Par ailleurs, la mise en scène n’aide pas plus le film à se démarquer tant les quelques séquences d’actions rythmées relèvent de l’illisibilité due à un choix de mauvais angles ou une luminosité mal gérée.

American Nightmare a été vendu comme un film d’home-invasion, genre bien apprécié des américains, avec une bonne dose de critique sociale. Il n’en est absolument rien et ce semblant de critique sociale est à peine effleuré. Le background du film n’est présenté qu’à travers des extraits de radios ou des séquences à la télévision. Une soi-disant prise de position qui ne vaut rien tant le propos semble décousu et coller à ce film dans une perspective de le vendre comme un film dénonciateur. Ne vous laissez pas tomber dans cette fausse critique et constatez seulement la médiocrité du traitement de l’intrigue, son jeu d’acteur grotesque et ses situations surréalistes. Une nouvelle preuve de la mauvaise foi des studios américains lorsqu’il s’agit d’aller au plus profonds des maux de l’espèce humaine. Ces derniers sous-entendent qu’il existe toujours une once d’humanité. Il y a des idées à sauver, et un tel scénario dans les mains d’un réalisateur plus politique aurait pu donner -à n’en pas douter- un bien meilleur résultat. Mais American Nightmare ne se révèle juste qu'être un film calamiteux, dont l’intensité manque cruellement et qui n’a que l’idée de départ à sauver. Dans le genre du film home-invasion, soyez plus patient et attendez la sortie du film You’re Next au début du mois de septembre, mieux réalisé et plus second degré.
Softon
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le 29 juil. 2013

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le 29 juil. 2013

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Kévin List

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