American Sniper aurait typiquement été le genre de téléfilm qui passe l'après-midi sur M6 s'il n'avait pas été réalisé par Clint Eastwood. Le problème est que, depuis Gran Torino, il n'est plus que l'ombre de lui-même.
Le film revient sur l'histoire de Chris Kyle, le sniper le plus redoutable des USA. Fils d'un Texan un peu moralisateur sur les bords, il achètera à son fils, comme tout bon père Texan, son premier fusil. Comme tout bon américain, il se transformera en patriote, un vrai de vrai. Il entrera chez les SEALS après avoir vu à la télé un attentat à l'ambassade américaine au Moyen-Orient. Et le 11 Septembre arrive... il veut tuer du barbu, parce que « on est gentils et ils sont méchants » (je résume sa pensée). 160 barbus et enfants selon le Pentagone, il est fier, il l'a fait pour son pays. USA motherfucker !
L’interprétation de Bradley Cooper est excellente (bien qu'il ne mérite pas vraiment d'Oscar), il montre tout ce qu'il a dans ses tripes et ses burnes, délivrant tout un panel d'émotions et d'expressions faciales que je ne lui connaissais pas. En contre-partie, on a droit à une Sienna Miller pitoyable et exécrable, totalement à coté de la plaque.
Là où le bat baisse vraiment, c'est la mise en scène. Peu inspirée et paresseuse malgré quelques plans par-ci par-là intéressants (les plongés/contre-plongés sont très bien utilisés). La scène bullet time où l'on suit une balle jusqu'à sa cible est pitoyable, ridicule, mal foutu et totalement hors sujet avec le reste du film. Des effets numériques dégueulasses parsèment le film et plombe les quelques scènes d'action mal rythmées. Rajouté à cela une musique parfois larmoyante et des effets sonores clichés qui rendent le film encore plus qu'il ne peut l'être, des dialogues mal écrits dans un scénario parfois bancal.
On peut rajouter aussi le fait que le film tourne uniquement autour de Chris Kyle. Ce choix est louable mais non respecté durant le film. Là où nous sommes sensé voir ce qu'il voit uniquement, la caméra nous transporte à des endroits plus éloignés, qui ne sont pas à portée spatiale ou émotionnelle du personnage (je pense notamment aux séquences avec son rival bronzé Mustafa). En soi, cela ne peut pas forcement être vu comme une erreur, cela prouve que Clint se repose peut-être un peu trop sur ses lauriers.
Bon, la forme est foirée, mais qu'en est-il du fond ?
La plupart des gens y verront un film de propagande débile pour l'armée américaine, d'autres (plus intelligents) y verront un film d'une ambiguïté rare au message fort.
American Sniper est un film purement Eastwoodien dans ses thèmes et correspond parfaitement au cinéaste ET à l'homme.
Clint Eastwood a toujours été un bon Républicain (bien qu'ayant un coté conservateur peu prononcé). Il est opposé au fait de tuer des hommes ou des animaux (bien qu'il soit en faveur pour la peine de mort envers des actes commis sur des enfants). Il était opposé à la guerre du Vietnam, d'Irak et d'Afghanistan. American Sniper montre les dégâts physiques et psychologiques sur les soldats mais pointe surtout du doigt l'absurdité du patriotisme primaire dont font preuve certains américains. Chris Kyle, dans le film, est naïf, un peu stupide et surtout Texan (d'où son patriotisme primaire et irréfléchi) à l'ouverture d'esprit limitée. Il s'agit en réalité d'une représentation peu flatteuse de l'américain moyen sous l'ère W. Bush.
Le héros selon Eastwood ne doit rien à la société, il est entièrement responsable de ses actes (d'où le fait que Chris n'ait aucun remords), doit se construire seul (son départ à l'armée) et prouver qu'il mérite sa place parmi les autres. Chris Kyle est, dans la lignée des précédents films du cinéaste, l'incarnation même du « destin américain », celui qui connaîtra le prestige et la reconnaissance de ses pairs mais qui connaîtra une chute assez violente (Mémoires de nos Pères ou Million Dollar Baby par exemple). Chris Kyle et American Sniper restent plutôt représentatif du cinéma de Clint Eastwood.
Toujours dans les thèmes du maître, on retrouve l'idée de l'éternel recommencement. Au début du film, on voit le père de Chris qui lui apprend à comment se servir d'un fusil lors d'une partie du chasse. Bien plus tard, on voit Chris apprenant à son fils ce qu'il a appris par son père. On peut y voir un message en filigrane : les américains, malgré un apprentissage de leurs erreurs commises par le passé, ne semblent pas prêts de changer de mentalité. Le grand Jean-Claude Van Damme nous disait : « Il faut se battre pour essayer de ne pas répéter nos erreurs, elles sont faciles à retenir mais on les répète toujours. »
Clint Eastwood ne se pose pas en tant que moralisateur, il dresse un constat de l'Amérique des années 2000 et qui perdure aujourd'hui. Il nous pose ici de bonnes bases pour d'éventuelles réflexions futures : jusqu’où peut-on aller par patriotisme envers son pays par exemple. Il nous offre ici un film anti-patriotique, à la limite de l'anti-militarisme, en développant des thèmes chers à lui. Néanmoins, il nous livre un film boursouflé sur sa forme dont le classicisme commence à s'essouffler sévèrement.
Je me pose maintenant cette question : le grand Clint Eastwood ne serait-il plus que l'ombre de lui-même ?