American Sniper. Un gros film de guerre ? Une approche de la névrose ? Un condamnation de l'intervention américaine en Irak ? Son apologie ? Un film bêtement manichéen ? Avec Clint Eastwood aux commandes, ce qui est certain, c'est qu'il y a une réflexion derrière. Mais sommes-nous capables, nous européens, de la lire ? Si on connait l'acteur, le réalisateur, on connait mal le citoyen actif. Dans les années 70, Eastwood a soutenu Nixon. Puis Reagan, et en 2012 Mitt Romney ; donc des votes républicains ; mais l'homme est complexe, et il a parfois soutenu localement des démocrates. Sur les conflits ou sont engagés les USA, son avis est également complexe : il a dénoncé la guerre du Viet-Nam, celle d'Irak également, mais tout en votant Bush... Il y a quelques années, il avait menacé de mort un activiste bien connu chez nous, Michaël Moore. Clint Eastwood est quelque peu réactionnaire, un peu libertaire, un peu opportuniste, partisan de la peine de mort, mais contre la violence... Difficile à suivre parfois. Mais comme la plupart des héros de ses films, Eastwood est un solitaire qui suit ses propres règles et sa propre morale. Ce qui l’amènera à plusieurs ruptures dans sa vie, professionnelles et amicales. Depuis les dernières années, ses films sont des succès, mais il a aussi réalisé quelques gros navets. Et les héros de ces derniers films ne sont pas forcément des types que nous aimerions fréquenter... Le raciste grincheux de Gran Torino par exemple, qui dépeint assez bien sa propre complexité. Pendant lontemps ses histoires portaient une part de rédemption, ce n'est plus le cas, comme ici dans American Sniper, où le « héros » assume toutes ses victimes. Certains critiques ont vu dans cette scène finale le désaveu d'Eastwood pour l'engagement en Irak ? Vraiment ? Quand ? Parce que ce film ne parle absolument pas politique, où si peu. Les soldats que l'on suit semblent coupés de toutes stratégie militaire ou géopolitique, ils évoluent dans un far-west oriental, et tentent parfois de trouver seuls un sens à ce qu'ils font, quitte à saisir l'occasion d'un frère d'armes qui tombent pour partir à l'assaut... Ce n'est donc pas la dernière scène qui condamne l'engagement américain, c'est cette vision générale qui le fait. Comme la lettre lue à l'enterrement d'un autre soldat ; où le frère de Kyle qui rentre au pays cassé psychologiquement sans avoir compris pourquoi il était venu et ce qu'il avait défendu.


Mais lire ici une dénonciation de la guerre serait réducteur. Car ce sont les hommes qui l'a font, et les hommes que nous montre le réalisateur sont des héros, c'est à dire des hommes qui ne maitrisent rien malgré leurs efforts, mais qui sont prêts au sacrifice pour sauver le reste du monde. Et Eastwood aime ce type d'engagement, sa fascination est palpable dans tous ses films (Le Maître de guerre par exemple). Ce n'est donc pas la guerre qu'il dénonce, mais l'absence de chefs dans cette guerre... Eastwood n'est pas vraiment un pacifiste... Pour lui une guerre peut être juste, faut-il encore des hommes à la hauteur pour la mener.


Un autre aspect de Clint Eastwood est sa vision singulière de la transmission (sûrement l'approche de sa propre mort qui fait se poser ces questions au réalisateur). Que transmet un père ? Que fait un fils de cet « héritage » ? Peut-on être déçu de sa propre filiation et s'en inventer une (Gran Torino) ? Dans American Sniper, le père est fondateur, le sien, comme celui que lui-même devient. Mais que fonde t-il ici à part une névrose ? Qui forge le destin d'un homme ? Les événements ou le père ? Ici la réponse est claire. Et la vraie souffrance de Kyle se trouve dans ce costume un peu trop grand qu'il tente de remplir par un physique qu'il malmène régulièrement pour le rendre massif et apte à entrer dedans... D'ailleurs sa délivrance ne viendra que quand il tuera Mustapha, sorte de frère jumeau métaphorique.
Il y a une sorte de clin d'oeil à Voyage au bout de l'enfer qui ne me paraît pas fortuit. Sauf que la scène est inversée, on commence par l'enfer pour se retourner vers la partie de chasse fondatrice de ce qui va venir. Kyle en abrite les deux personnages principaux : au fond de lui Mike, qui veille à conserver une part d’humanité ; et Nick qui joue sa vie à la roulette russe en espérant perdre à chaque fois... Ce sont aussi les personnages clefs de Platoon. Oui American Sniper est manichéen. Mais peut-il en être autrement ? Surtout chez un peuple qui s'est construit dans la peur et l'affrontement permanent depuis que les immigrés du Mayflower fuyant les persécutions d'Europe, posaient leurs pieds sur ce continent sauvage et déjà occupé ?...


Certains reprochent au film de montrer une vision simpliste des terroristes irakiens. Pourtant, c'est bien une forme d'armée d'occupation que nous présente les premières images, et le désespoir tellement grand des « résistants » qui les pousse, hommes, femmes, enfants, à se sacrifier pour lutter contre ces soldats envahissants. C'est aussi la première fois que je vois un film américain montrer le meurtre d'un enfant. Kyle, quasi imperturbable, encaisse cette première mission « réussie » avec retenue, mais intérieurement, la machine s'emballe (17/11 de tension). La deuxième fois qu'un enfant se retrouve dans son viseur, on sent enfin à quel point il a atteint ses limites.


Etrange film que cet Américan Sniper. Il ne dénonce pas vraiment, ne soutient pas tout, mais pose des questions essentielles à lire entre les lignes. Il est à l'image des soldats eux-mêmes, en plein doute : tout cela a t-il un sens ? A chacun d'y trouver une réponse...


Que dire d'autre ? Cooper est tout simplement géant. Magnétique, rassurant, alors qu'en fait c'est une bombe prête à exploser. Un jeu d'acteur brillant qui éclipse tout ce qu'il y a autour de lui. Un film à voir plusieurs fois à mon avis pour en décrypter le maximum de choses. 

Kerven
8
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le 17 déc. 2015

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Kerven

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