L'autrichien Michael Haneke fait partie des cinéastes les plus fascinant de ces 30 dernières années. Ce qui suit révèlera en partie l'intrigue du film, cependant j'estime qu'il n'est pas problématique de connaitre le dénouement du métrage avant son visionnage. Vous voilà prévenu.
Avec des films tels que La Pianiste, Le Septième Continent ou encore Funny Games (probablement mon film préféré de sa filmographie), son style aura marqué au fer rouge le public qui s'y sera attaqué. Haneke aura su imposer un cinéma choque poussant à de multiples réflexions sur des sujets variés tel que notre rapport à la violence ou la critique de la haute bourgeoisie qu'il semble haïr au plus haut point.
Amour, palme d'or du Festival de Cannes 2012, reste selon moi le film le plus accessible du cinéaste, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il s'agisse du plus simple psychologiquement parlant.
Amour nous met face à un couple octogénaire semblant cultivé et vivant dans un milieu aisé. Anne, l'épouse pianiste, est victime d'un AVC lui paralysant une partie du corps. C'est donc à son mari, George, de s'occuper d'elle et de tenter de maintenir cette vie et ce couple à flot. Il lui promet de ne pas la placer à l'hôpital et de faire tout pour la prendre en charge, lui démontrant son amour en ver et contre tout.
Haneke nous plonge de ce qui est pour moi son oeuvre la plus réaliste. Ici pas de grandiloquence, le cinéaste veut nous faire vivre cette situation en constante dégradation, ne pouvant mener que vers une fin tragique.
Ayant 23 ans à l'heure où j'écris ces lignes, difficiles de se rendre compte de cette situation vécue la plupart du temps par des personnes âgées. C'est donc après discussion familiale sur le sujet et un second visionnage de cette oeuvre que toute son ampleur m'est apparue. Amour nous parle de l'inévitable, de situation auxquels nous seront à priori tous confrontés. Le concept de couple entraîne un certain engagement officieux pouvant signifier que nous serions prêt à voir l'autre partir, quitte à en souffrir. Cet engagement, si celui-ci est à long terme, implique quelque-part d'accepter de voir l'autre dépérir. Amour expose la vieillesse, les années passées de vie commune et à quel point il est compliqué d'accepter l'inévitable à l'heure de la dégringolade physique et/ou psychologique.
Ma génération n'a pas conscience de ce que peut parfois représenter une fin de vie, c'est probablement ce long-métrage qui m'aura permis le mieux d'en prendre conscience. Certaines personnes dans la cinquantaine peuvent se montrer très touchées par Amour, et il est facile de comprendre pourquoi. Les couples étant à une ou deux décennie près d'avoir atteint le seuil dit de la "vieillesse" vont probablement recevoir le long-métrage de pleins fouet. Il démontre une peur véritable, rationnelle et difficilement évitable, Haneke évoque une certaine vacuité de la vie.
Nous pouvons également parler de la souffrance personnel que la personne malade est contrainte de vivre. Le personnage d'Anne, brillante pianiste, n'est dès lors plus en mesure de mettre en application ses talents. Son existence perd alors tout son sens, pourquoi exister si nous ne sommes plus capable d'exercer notre raison d'être. Cet élément brise également George qui se retrouve à nouveau impuissant face à la situation.
Le cinéaste aura tourné son film dans un appartement construit de toute pièce en studio. Cet espace représente bien les années passées par le couple d'Anne et George, l'histoire de leur vie et leur amour. Il représente une classe sociale aisée et cultivée, mais même avec ces attributs nous ne pouvons pas échapper au destin et à notre fragilité. Il s'agit peut-être aussi d'une volonté du réalisateur de critiquer la bourgeoisie, cette "attaque" se verra d'ailleurs centrale dans la "suite" d'Amour : Happy End. Ces espaces intérieurs sont parfois immenses, presque trop grands et semblent démontrer le vide qu'est à présent la vie des protagonistes.
Haneke conçoit des plans réfléchis, plaçant souvent les deux personnages dans le même cadrage fixe. Ainsi, ils sont face à face et contraints de souffrir constamment de la paralysie d'Anne. Ils sont en quelque sorte prisonnier du cadre, du lieu, de leur histoire et du temps qui semble s'écouler et s'accélérer à la fois, rapprochant l'inévitable. Ces plans sont parfois très long, trop long, de manière à plonger le spectateur dans ces instants où nous savons que tout espoir de rémission a disparu.
En finalité, George ne pouvant plus supporter la souffrance de son épouse, devenue sienne, il choisira de l'étouffer sous un coussin lui-même. Cet acte pouvant sembler brutale, représente en fait une puissante preuve d'amour. Il accepte de la laisser partir, ne pouvant plus supporter cette insupportable tourment, il offre à Anne le repos et la paix. Cette séquence s'avère compliquée pour le spectateur, mais une fois que nous comprenons le sens du geste, et l'immense courage qu'il aura fallut à George pour agir de cette façon, nous ne pouvons qu'être amplis d'émotions. Cette séquence est particulièrement forte durant toute sa longueur.
Michael Haneke, si l'on pouvait qualifier son cinéma de froid, offre en faite un récit contenant une certaine chaleur cachée : l'amour. Qu'elle beauté de voir la dévotion de George pour son épouse jusqu'au bout, la passion qui anime ces deux êtres par un simple regard, un simple geste.
Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva sont ici au sommet de leur art et semble avoir toujours vécu côte à côte. Probablement l'un des plus beaux couple du cinéma. Il est évident que le film sera reçu différemment par chaque spectateur et surtout chaque génération. Nous aurons en effet un regard très différents en fonction de notre âge et notre expérience personnelle devant Amour, mais c'est peut-être là l'un des intérêts du film ; chacun le ressentira différemment.
Haneke montre une relation où même au delà de la maladie, l'amour perdure ; et c'est bien de cela au final tout ce dont nous parle le film : d'amour.