J'ai trouvé dans ce film au nom trompeur une analogie troublante avec l'enfance d'Ivan. Dans le premier, Tarkovski essayait de nous expliquer que le cinéma se devait de proposer du rêve avant tout. J'entends par rêve un éloge au beau, que je définirais comme un savant mélange de grâce et de vertu. Cette même beauté qui a le don de nous faire s'interroger sur la vie et sur toutes les questions essentielles qui nous font avancer en tant qu’être humain.
Ici, comme dans Le Ruban Blanc, Haneke brouille les pistes en faisant croire aux spectateurs qu'ils assistent simplement à la vie douce et difficile d'une couple du 3ème âge. Pourtant cela m'étonnerait qu'un cinéaste comme lui daigne se rabaisser à faire du cinéma social comme Ken Loach. Ce n'est pas dans ses habitudes de nous balancer à la gueule une dure réalité plus ou moins transformée et mensongère afin de nous sensibiliser sur les souffrances humaines dans certains milieux ou certaines catégories socio-professionnelles.
Je dirai même que c'est totalement l'inverse. Certes, les images montrées sont vraiment révélatrices de la vie de nos ainés. Sachant qu’il n’est pas inutile d’en être sensibiliser pour prendre conscience des souffrances qu’ils endurent en silence, et, pour les plus endurants d’entre nous, celles que nous subirons d’ici quelques décennies. A partir de là, deux questions s’imposent :

- Est-ce vraiment nécessaire de faire du cinéma pour nous exhiber cela ?
Notre vie de tous les jours comporte aussi son lot d’emmerdes, de quoi nous occuper toute une vie (inutile de vous citer la bible). En effet, comme croire régler le problème des autres quand on ne daigne même pas voir les siens en face (je ne parle pas de ceux qui se sacrifient pour les autres, à en oublier de s'occuper d'eux-mêmes). D'une certaine manière, une scène du film l'attestant, je pense que le cinéaste rejoint cette idée, où ce déballage permanent n'est pas une fin en soit. J'y reviendrai plus tard...

- Est-ce que le film se concentre donc sur le lien inébranlable qui lie les deux protagonistes ?, d’où le titre.
Voilà qui est déjà plus intéressant. Je ne pourrais confirmer ma théorie, mais je ne pense pas non plus. Je vais tout de même essayer de l’expliquer. Il y a deux facteurs déterminants (si ce n’est plus) qui font que le film qui se voudrait, selon les spectateurs, être un témoignage authentique de la vie d’un couple en fin de vie n’en est pas un :

1) La première scène du film nous met face à un public relativement identique à celui du cinéma où je prenais place, comme si deux pièces de théâtres s’observaient mutuellement. J’aurais jubilé si le public en face de moi s’était retrouvé victime d’un fou rire incontrôlé devant la mascarade et la farce de notre société moderne. Mais bon, je ne peux pas en vouloir à Haneke, ça aurait facilité davantage le travail d’abstraction que je m’efforce de réussir depuis hier.

2) Dans un second temps, vous avez sans doute remarqué très rapidement que l’intonation des acteurs, Isabelle Huppert incluse, était très théâtrale, trop même. C’est un détail qui peut paraître insignifiant, mais c’est celui qui avec le premier ne m’ont pas fait quitter la salle après 20 minutes seulement. Ce sont ces détails qui démarquent cette fiction de la réalité la plus crue qui soit. En effet les images, elles, ne s’encombraient d’une surcouche lyrique qui lui semblait inutile et pour cause. C’est donc dans son intégralité que le film fait cohabiter cette frontière floue entre deux genres opposés.

Je me suis retenu jusque-là, attendant que mon argumentaire prenne forme, il est enfin temps que je partage avec vous la sensation que j’ai ressentie tout le film durant et qui ne m’a pas quittée.
J’ai eu tout du long la vilaine impression d’être un putain de voyeur, comme si je violais l’intimité de ce couple, comme si la perte progressive de la dignité de sa femme était aussi de mon fait. Je ne pourrais vous dire à quel point cela m’a mis mal à l’aise. Heureusement qu’Haneke a eu comme je l’ai développé précédemment l’intelligence de surligner l’aspect fictionnel de son film, sinon je me serais barré de la salle en prenant mes jambes à mon cou, étouffé sous le poids de la culpabilité.Mes arguments, comme vous l’avez constaté se basent en grande partie sur cette désagréable sensation. Je serais étonné si-là n’était pas sa véritable intention, celle de nous questionner sur notre propension à s’insinuer insidieusement dans la vie privée des gens, de les juger ou de les glorifier sur quelque chose qui ne regarde qu’eux et personne d’autre.
De mon côté, il est évident que son entreprise a été un véritable succès, mais si je l’ai ressenti ainsi c’est aussi parce que je sais où est ma place et quelles sont les limites que je ne dois pas franchir. Ce n’est évidemment plus le cas de nos sociétés mercantiles et outrageusement médiatisées, qui vont toujours plus loin sans jamais savoir où elles vont, mais compte tenu de la réaction du public, on ne peut pas dire que cela ait eu l’effet escompté. [N’est pas Mamoru Oshii qui veut…]

Avant de clore cette critique (et le bal), il y a point sur lequel je voulais revenir, tant il a d’importance à mes yeux. Le titre, non innocemment choisi par le cinéaste, m’a assez choqué. L’amour, dans son sens véritable, n’est pas quelque chose avec lequel on peut jouer puis s’en servir à des fins stratégiques pour déboucher sur de ne nouvelles pistes de réflexion. On s’y soumet et on agit en son nom exclusivement. Kurosawa avec le film Vivre l’avait compris et en avait fait un merveilleux éloge. Certes, nous vivons dans un monde « libre »(définition gros roberts), cependant un artiste, de par son statut et son rôle devrait s’interdire d’en user à la légère. Ceci vaut encore plus quand on a du talent comme Haneke.
Mehdi-Ouassou
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le 28 oct. 2012

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