"Tu es un monstre, mais tu es gentil"

La nouvelle palme d'or est toujours le rendez-vous à ne pas manquer pour tout cinéphile qui se respecte. Cette année elle a été décernée à un récidiviste: Michael Haneke. Amour est le deuxième film du cinéaste autrichien à recevoir la prestigieuse récompense cannoise après le Ruban Blanc en 2009. C'est un réalisateur que j'aime beaucoup, son Funny Games m'a fortement marqué notamment et je partais très confiant pour ce nouveau film salué par la critique et le jury de la Croisette. Amour s'annoncait comme étant du lourd, du très lourd avec une histoire aussi cruelle que bouleversante. Finalement le film tient-il toutes ses promesses?



La scène d'introduction d'Amour ne laisse aucun doute quant à l'issue du film, ainsi pas de réelle surprise scénaristique, on connaît la fin. Et ce plan-séquence d'introduction est véritablement glaçant, d'entrée de jeu on sait que ce ne sera pas gai. Mais bon quand on connaît Haneke, on se doute d'avance qu'on ne va pas rire des masses devant un de ses films. Le sujet sur le papier est très fort, une vieille femme subira un AVC paralysant son côté droit et son état s'aggravera petit à petit.
L'occasion de traiter l'amour tel qu'il existe après des années et des années et ce sans idéalisation. Haneke oblige, on a le droit à un film âpre, épuré et concret. De toute manière le cinéaste ne ment pas sur ses intentions dès le départ.

Le film est un huis-clos dans sa globalité. Le décor est composé de quelques pièces d'un appartemment parisien où évolue ce couple Riva-Trintignant. Nous sommes pour ainsi dire plongé dans leur intimité du fait de ce choix du réalisateur mais paradoxalement le film demeure assez pudique, ce qui crée une certaine forme de distance entre la scène et le spectateur. Pour un film parlant d'amour c'est un peu dommage car Haneke reste trop fidèle à lui-même en traitant ce film de manière très froide. Il n'y a pas vraiment de place pour l'émotion. On s'y attache quand même à ce vieux couple, on ressent de l'empathie pour les deux personnages mais pas tant que ça finalement du fait de la distance instaurée entre nous et ce qu'il se passe à l'écran.

Pour autant le film reste bon dans son traitement malgré ce choix un peu décevant. A vrai dire on a l'impression de voir 3 personnages. Georges interprété par Trintignant, Anne incarnée par Riva et l'appartement. Tout se passe ici, il semble être un personnage à part entière. C'est un espace confiné qui au départ nous paraît malgré tout assez ouvert, vaste, lumineux mais qui progressivement se referme sur lui-même, fermant toutes les portes aidé par un Jean-Louis Trintignant qui cloisonne de plus en plus cet espace.
Le rythme du film très lent est nécessaire au développement de l'histoire, on y perçoit mieux les sentiments des personnages et leur "séparation". Car Georges et Anne passent finalement peu de temps ensemble, il y a un amour qui persiste toujours mais qui est mis à rude épreuve par le fait qu'une moitié du couple doit assumer l'autre. Quelque part c'est un constat réaliste et amer que nous livre Haneke. Il n'y a strictement pas de complaisance, pas de scènes tire-larmes sous un air de violon, on nous balance juste une dure réalité intime à la gueule.



D'un point de vue technique, la mise en scène est vraiment admirable. Haneke n'hésite pas à étirer ses scènes par de longs plan-séquences, souvent fixes pour mieux percevoir l'espace ou en mouvement pour suivre les personnages et les voir irrémédiablement s'enfermer. Il y a des scènes d'une incroyable intensité qui surgissent de temps à autre, trop rarement malheureusement. On retiendra l'introduction comme je l'ai dit qui est vraiment glaçante, on retiendra également une scène de cauchemar tellement surprenante et glauque qu'elle m'a fait bondir et ce dialogue de Trintignant sur son passé en colo avec sa carte postale. Ces moments sont psychologiquement très violents mais peu courants, ce qui est vraiment dommage car cela m'a laissé l'impression qu'Amour était assez terne finalement. Une sensation terne accentuée davantage par une photographie réussie mais austère.

Le film fait la part belle à deux interprètes de talent. D'un côté Emmanuelle Riva, plutôt touchante dans Hiroshima mon Amour, qui incarne cette vieille dame qui glisse progressivement vers la mort avec une grâce qu'elle a su conserver à travers les âges. Et de l'autre Jean-Louis Trintignant qui livre une incroyable performance, pleine d'impact et envoûtante. C'est bien simple, à chaque fois qu'il prenait la parole j'étais captivé, il a une de ces façons de parler qui fait que tu ne peux que te taire et l'écouter. Il livre ainsi une douloureuse prestation vraiment marquante et très réussie. On notera également les courtes apparitions d'Isabelle Huppert, actrice que j'aime bien, dans le rôle de leur fille et qui convainc également de manière très forte.

C'est un film qui demeure tout de même assez riche, traitant de l'amour vieillissant bien sûr mais aussi de la vieillesse tout simplement, et de la mort. La mort est un sujet qui me fascine à mort (lolilol mdr kom il é drôle, kikoo bestah) et j'aime voir ce thème traité au cinéma. Je citerais Bergman bien entendu qui en parle avec force et pas mal de réflexions métaphysiques viennent toujours orner ses films, comme Le Septième Sceau ou encore Cris et Chuchotements.
Amour est plutôt dense à ce niveau bien que j'espérais plus d'intensité, plus d'instants réellement forts. Haneke parle de pas mal de choses tout de même et peut nous laisser matière à réfléchir sur le sens de notre vie. Quelque part, ce couple Trintignant-Riva ça pourrait être nous, ce sera nous même.

Amour est un film plein de retenue, traité intelligemment et avec de rares grands moments de cinéma mais en fin de compte ça m'a davantage laissé l'impression d'un film qui aurait pu être totalement fade. Beaucoup moins subjugué par cette nouvelle palme d'or que par la précédente, je dirais qu'Amour reste un film de grande qualité auquel il manque pourtant quelque chose, de l'émotion sûrement. Car même si le film est dur, il manque cette substance qui aurait pu pimenter cette oeuvre pour la rendre plus forte, plus incisive, plus percutante.
La lenteur du film en laissera plus d'un sur le carreau, c'est certain que le procédé ne plaira pas à tous. Pour autant je ne me suis pas ennuyé, j'ai justé été légèrement déçu par le contenu. Amour reste du cinéma de qualité porté par d'excellents interprètes, mis en scène avec application et qui n'est pas écrasant, laissant même subsister de très rares touches d'humour. On retiendra la réplique qu'Emmanuelle Riva lance à Jean-Louis Trintignant: "Tu es un monstre, mais tu es gentil" qui résume assez bien le film. Ca ne m'a pas transcendé plus que ça, je m'attendais à mieux de la part de Michael Haneke mais cette oeuvre épurée demeure malgré tout belle et touchante.
Moorhuhn
7
Écrit par

Créée

le 8 nov. 2012

Critique lue 1.7K fois

6 j'aime

6 commentaires

Moorhuhn

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

6
6

D'autres avis sur Amour

Amour
Teklow13
8

Critique de Amour par Teklow13

Il y a l'amour qui nait, celui qui perdure, celui qui disparait, et puis il y a celui qui s'éteint, ou en tout cas qui s'évapore physiquement. Si certains cinéastes, Borzage, Hathaway, ont choisi de...

le 22 mai 2012

88 j'aime

11

Amour
guyness
6

Gérons tôt au logis

En fait, ça m'a frappé à peu près au milieu du film. Amour est un remake de l'exorciste. Vous savez, cette angoisse qui va crescendo à chaque appel venant de la chambre. A chaque incursion dans...

le 26 févr. 2013

66 j'aime

24

Amour
Grard-Rocher
9

Critique de Amour par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Anne et Georges forment depuis bien des années un couple soudé et très respectueux l'un vis à vis de l'autre. Ils habitent un très bel appartement parisien dans un quartier bourgeois. Leur vie de...

52 j'aime

34

Du même critique

Monuments Men
Moorhuhn
3

George Clooney and Matt Damon are inside !

Ma curiosité naturelle, mêlée à un choix de films restreint sur un créneau horaire pas évident et dans un ciné qui ne propose que 10% de sa programmation en VO m'a poussé à voir ce Monuments Men en...

le 12 mars 2014

60 j'aime

7

Eyjafjallajökull
Moorhuhn
1

Eyenakidevraiharetédefairedéfilmnull

J'imagine la réunion entre les scénaristes du film avant sa réalisation. "Hé Michel t'as vu le volcan qui paralyse l'Europe, il a un nom rigolo hein ouais?", ce à quoi son collègue Jean-Jacques a...

le 23 oct. 2013

59 j'aime

6

Koyaanisqatsi
Moorhuhn
10

La prophétie

Coup d'oeil aujourd'hui sur le film Koyaanisqatsi réalisé en 1982 par Godfrey Reggio. Point de fiction ici, il s'agit d'un film documentaire expérimental sans voix-off ni interventions, bref un film...

le 1 mars 2013

56 j'aime

9