Amour & Amnésie est un film que l'on peut aisément dénigrer et laisser pour compte au milieu d'une ruelle sombre, le corps embaumé de chair à saucisse, qu'une bande de clébards à la petite semaine viendrait dévorer sans vergogne. A&A n'est pas un cas simple, ni une oeuvre simple, c'est encore autre chose, c'est un ananas. D'apparence assez grossière, épineuse et potentiellement meurtrière pour qui se le prendrait par hasard sur le coin de la trogne, l'ananas possède un cœur acide et suave, une substance berceuse de rêves tropicaux et d'étés tranquilles au bord d'une plage de sable fin.


Si A&A n'est pas beau par sa simple forme, on en comprend bien les raisons. On tombe alors sur Adam Sandler, le bouc émissaire à l'âme franche et sincère. On tombe sur des vannes pataudes et grossières, sur de la beauferie infâme juste bonnes à se poiler comme de grosses baleines, une Kro dans chaque mimine. On suit ses aventures de navrant soigneur d'animaux marins doublées de celles de séducteur invétéré, bouffant de la touriste en manque de dépaysement comme s'il en pleuvait. Bref, on n'a pas envie de voir ce film. On a envie de le conchier, de rire de lui plus qu'avec lui. On se croit devant l'une de ses vils comédies chères à l'ami Sandler, que seule une bonne rasade frelaté fait apprécier.


Et il y a cette rencontre, cette belle rencontre.


Au détour d'un petit déjeuner de champion au boui-boui du coin, Sandler croise Drew Barrymore, cette beauté naturelle, sans fioritures, brillante comme une larme. Sans attendre, notre séducteur aborde la belle tout en cachant la barre qui probablement lui transperce le short. Le contact s'établit naturellement, la technique s'avère maladroite mais authentique, aussi Barrymore se laisse charmer et donne sa chance à notre héros, lui promettant de continuer leur conversation le lendemain, même endroit, même heure. Si Sandler semble ravi par cette rencontre, il n'en est pas moins effrayé de se laisser tenter à un jeu qui risquerait de l'éloigner de ses coups faciles, de ses aventures sans lendemains.


Matin suivant, le temps s'avère pluvieux mais Sandler demeure gonflé d'espoir. Drew Barrymore passe alors devant lui sans le voir pour aller s'installer à sa table habituelle. Pensant bien faire, notre héros ré-aborde tout naturellement la conversation par une blaguounette à caractère sexuel, ce qui a tôt fait de la rendre furieuse, presque outrée devant pareil esprit. Sandler, bien que bougon s'écarte, confus. On lui explique alors à l'extérieur que la belle ne sera pas pour lui, elle ne sera d'ailleurs pour personne. La raison étant simple : Drew Barrymore souffre d'une perte de la mémoire à court terme, pensant chaque jour vivre la même journée, celle-là même ayant succédé à un accident de voiture qu'elle eut avec son père. Sa famille veillant au grain pour ne pas vendre la mèche, tout est accompli pour la protéger de la dure réalité.


C'est là que le film devient particulier. La nouvelle devrait faire fuir notre héros et le cantonner de nouveau à la chasse en petit bassin, cependant celle-ci le ragaillardi. A la manière du classique Un jour sans fin, Sandler, va redoubler d'efforts pour passer chaque jour, chaque instant en sa compagnie, quitte à se prendre une veste le lendemain. On est en plein dans l'amour rose des premiers temps, celui qui consiste à faire croire à l'autre à quel point nous sommes de bons partis, des rêveurs, des romantiques, des attentionnés, qu'elle ne voit pas nos fragilités et nos craintes. On a alors terriblement envie d'être aimé, dépeignant une version exagérée de nous même, une version idéale.


C'est par là que le film est très séduisant. Sandler devient cet amoureux transi, ce charmeur des mers qui remue ciel et terre pour, chaque jour, faire en sorte que Barrymore partage ce sentiment qu'il éprouve. C'est beau, vraiment. Cela me fait d'ailleurs penser à la génialissime série Derek où l'une des pensionnaires d'une maison de retraite souffre d'Alzheimer. Son mari confit alors à la caméra qu'il ne faut pas voir la maladie de sa femme comme une affliction mais comme une benediction leur permettant à tous deux de retomber amoureux 365 fois dans l'année. C'est au fond ce que recherche chaque couple, faire durer la magie et retrouver la beauté qui a su faire tourner la machine jusqu'ici. Le présent film parvient haut la main à transmettre ce sentiment pour le magnifier, le dépasser et tenter de vivre avec l'amnésie.


Amour & Amnésie s’enclenche plus difficilement qu'un moteur rouillé par de l'humour gras. Et pourtant si l'on se laisser tenter, ne serait-ce que par pure curiosité, on peut rencontrer de bons et agréables moments. En voilà un film qui fait du bien au moral.

Fosca
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste En 2016, je vais sucer la moelle du cinéma

Créée

le 11 avr. 2016

Critique lue 1.2K fois

9 j'aime

2 commentaires

Fosca

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

9
2

D'autres avis sur Amour & Amnésie

Amour & Amnésie
Fosca
7

Ananas Frais

Amour & Amnésie est un film que l'on peut aisément dénigrer et laisser pour compte au milieu d'une ruelle sombre, le corps embaumé de chair à saucisse, qu'une bande de clébards à la petite...

le 11 avr. 2016

9 j'aime

2

Amour & Amnésie
EricDebarnot
7

Conceptuel...

"50 First Dates" (un bien meilleur titre, comme souvent, que le français "Amour et Amnésie"...) est, comme bien des critiques l'ont signalé, plus un film romantique qu'une véritable comédie, malgré...

le 31 juil. 2013

7 j'aime

Amour & Amnésie
Zogarok
4

L'ananas révélé

Un tour chez Paul Thomas Anderson (pour Punch-drunk love) n'est pas suffisant pour prendre de la hauteur sur la fosse d'où on vient et où on brille. Amour et amnésie aka 50 first dates joue sur deux...

le 21 juin 2015

5 j'aime

Du même critique

Juste la fin du monde
Fosca
8

Natural Blues

Bien malin celui qui parvient à noter sereinement ce film. Personnellement il ne m'est guère aisé de le glisser au sein d'une échelle de valeur. Dans tous les cas, une note ne pourra s'avérer...

le 22 sept. 2016

190 j'aime

13

Grave
Fosca
8

Deux sœurs pour un doigt

Bien que préparé à recevoir ma dose de barbaque dans le gosier sans passer par la case déglutition, je ne peux qu'être dans un tel état de dégoût et d'excitation à la fin de ce film qu'il me sera...

le 21 févr. 2017

134 j'aime

23

Mother!
Fosca
8

L'Antre de la Folie

Au commencement... Comment commencer à parler de ce film sans en révéler toute l'essence ? C'est bel et bien impossible. Le nouveau venu de chez Aronofsky n'est pas une œuvre dont nous pouvons parler...

le 8 sept. 2017

84 j'aime

18