Un film splendide. Ça a le mérite d'être bref, mais rassurez-vous ça arrive. Je me suis dis, dans un comportement impie, que j'allais réviser mes cours en regardant le film, donc autant vous dire j'allais le regarder comme un abruti. Bon ben au final je n'ai pas...révisé. Dès le premier plan j'ai lâché mon bouquin et je n'ai pas beaucoup vu passer les 3h. Tarkovski nous attrape et nous met dans une dimension où le temps ne bouge plus. Ce film est comme un long monologue intérieur. Beaucoup de points à éclaircir.

Au niveau des personnages beaucoup, mais vraiment beaucoup de densité et de profondeur. En somme les personnages sont dans une sorte de déliquescence passive tout au long du film, allant le plus généralement dans le sens du courant du fleuve où ils passent beaucoup de temps. Dans ce parallèle, on voit beaucoup l'eau au sol, on voit peu le ciel. Comme s'il n'était pas là, comme si tous ces hommes qui aspirent aux cieux n'avaient que le droit à de l'eau. Ils sont tous en lutte interne comme si tous ce qu'ils disaient avait été une lutte acharnée dans leurs consciences, une profonde remise en cause de tous les instants basé sur la foi. Mais ce n'est pas réellement la foi qui est touchée tout le temps. Certes elle est l'objet central de l'histoire, mais je pense qu'à travers ça Tarkovski nous montre, exprime comment les hommes se comportent, et ceci toujours dans le même but, le pardon, l'inoffensant, le déni et la violence. Croire en quelque chose est vite primordial si on veut vivre avec sa conscience, il faut que quelqu'un d'extérieur à nous puisse nous justifier, appuyer si on sait qu'on a fait une erreur. Il y a des erreurs qui ne sont pas bonnes d'autres parfois si. Comme le mensonge de Boris sur le soi-disant alliage secret de la cloche. Mais au final qui sommes nous pour savoir ce qui est juste ou pas? Rien. La profondeur des entraves de l'homme sont infinies, ce qu'il peut se reprocher est juger est indénombrable. Dire que quelqu'un qui fait des fautes ne peut en juger un autre est faux. Pourquoi? Parce que son jugement n'a pas de valeur, il n'a aucune saveur, il peut dire ce qu'il souhaite dans la finalité on n'a qu'un juge, nous même et donc Dieu. Car si par exemple le don d'Andreï est un cadeau de Dieu c'est pour en être à la fois, sa pénitence et son jugement. Notre constitution originelle est un jugement de Dieu. Il s'agit de savoir comment en fonction de ce que nous avons nous allons nous comporter. Désormais les personnages se jugent mais ne se touchent pas, regardez comme ils s'accusent, mais aussi comme ils se moquent des accusations et ne reviennent quasiment jamais sur eux-mêmes, un des rares à se sonder c'est Roublev, en perpétuelle confession de soi, Thomas est aux antipodes, il n'accepte jamais la "faute". Roublev est en permanence en reproche de lui-même, mais quand il se confronte à sa foi, il doute, il ne sait pas comment il a pu faire ce qu'il a fais, il ne se comprend pas.

Tarkovski est un inimitable façonneur d'images. Autant Roublev peint des icônes, Tarkovski lui peint des personnages. La qualité de mise en scène est juste extraordinaire. Pas un espace arrangé au hasard, pas un plan sans signification réelle,s ans profondeur de champs. Parfois l'action se passe tout au fond du plan, alors que déjà au premier plan il se passe déjà quelque chose, même les figurants doivent avoir une présence. Autre vision, le bouffon qui se rince sous l'eau de pluie. On reste dans la maisonnée et on le voit par la porte comme si deux entités s'offraient en duel mais qu'une d'entres elles se savait perdue. Le moine triomphe sur le bouffon. Le bouffon est dans le physique, le moine dans l'incarné, dans le visage et dans la réflexion. Il y a d'ailleurs une perpétuelle opposition de chaire et d'esprit. Comme ces "païens" qui plongent nus dans le fleuve. Comme un processus de déclaration d'erreur. L'opposé du ciel n'est pas la solution. Mais aucun, vraiment aucun personnage ne lèvera la tête au ciel, car dans le fond ils se trompent tous, ils ne sont que des hommes. D'ailleurs si on parle d'image, les hommes n'ont que le droit au noir et blanc, les icônes à la fin auront leur place dans la couleur. Les hommes sont des âmes fuyantes, le long de l'eau, dans leur existence "pécheresse". À noter que dans cette prédominance de l'eau, parfois les pleurs ou la sueur, c'est aussi la pluie, la pluie qui est sans doute un des bruits les plus forts du film.

La récurrence du cheval dans le film m'a assez frappé. Tour à tour exprimant des images bien distinctes. Par moment il arrive en donnant un sens puissant à l'homme. Dans un contexte de dureté, le cheval représente ce symbole de sa domestication, faisant alors là écho à la maîtrise de soi de l'homme, mais aussi à la maîtrise de l'autre. Quand les chevaux seuls sont tranquilles c'est aussi une image d'une communication apaisée avec la nature, le fleuve, la pluie, la terre. Cependant dans d'autres images il sera un messager de mort. Cheval des cavaliers de l'Apocalypse, il est une synthèse géante de ce Jugement Dernier que Roublev redoute de peindre. Quand il est au milieu des champs et qu'il avoue qu'il a peur de peindre cette scène un cheval passe bruyamment et à vive allure près de lui, avec un un petit coup de caméra pour le suivre brièvement, un retour à la réalité pour le pauvre Roublev. Le cheval fait peur c'est comme ça. Le cheval messager de mort. Mais aussi qui a un rôle psychopompe, il mène l'homme aux cieux. Il est ce guide. Dans l'image c'est assez grandiose.

Ce film est un miroir constant de l'homme. Les oeuvres d'art qui se façonnent, ne sont que l'expression de leur créateurs, Boris ou Andreï, voir Théophane. En regardant ce film les premiers vers de l'Enfer de Dante me sont venus, vers le moment où Roublev voit l'apparition de Théophane, comme celle de Virgile pour Dante:
Nel mezzo del camin di nostra vitai,(Au milieu du chemin de notre vie)
Mi retrovai per una selva oscura,(Je me retrouvai par une route obscure)
Che la dirita via era smarita.(Car la voie droite était perdue)
Roublev n'est pas mort mais le pense, il a perdu la voie droite. Il ne sait où aller alors se donne un sens tout seul. Il justifie son errance par une erreur et puni les hommes en conservant son talent en se morfondant. Roublev est un génie, mais il est aussi un homme. Qui que nous soyons nous sommes humain, nous en avons une part. Nous ne pouvons être insensibles et fautifs permanents. D'ailleurs la première esquisse que nous verrons des peintures de Roublev ce ne sera qu'au moment de leur destruction dans l'église. Un processus de destruction créatrice, qui n'aura vécu que dans la douleur. Qui fera vivre Roublev dans la postérité.

C'est aussi une fresque historique très bien construite. Le nombre de figurants et la qualité des nombreux décors est admirable. De grands moyens pour un rendu parfait. Une image somptueuse et profonde. Pas un seul sens évident ne manque dans chaque image, un regard, une parole. Toutes les images sont les miroirs de l'homme. Et si Tarkovski était à la place de Roublev son rôle aurait été le même. Exercer son talent pour l'Humanité. Exprimer par les images ce que certains ne voient pas en eux, ni dans les autres. L'empathie, l'amour, la violence, la passion, la croyance, le désir, croire en tout cela n'est pas péché c'est faire preuve d'Humanité, c'est se savoir vivant. Se remettre en cause c'est se connaître, c'est se faire Homme. C'est croire en l'Homme et croire en Dieu, quel qu'il soit pour chacun.

La façon de l'image, comme celle de la cloche est aussi cette façon de l'esprit. Restons ouvert, à nous-même, mais aussi et surtout au monde. L'Amour est partout, l'erreur aussi, le "péché" encore plus, si vous profitez vous souffriez, mais ne pleurez pas, vous re-profiterez derrière, mais vous allez de nouveau souffrir. C'est être un homme, c'est exister et ne pas ressembler à une peinture. Roublev a voulu leur donner un sens, le faire avec désir, mais son génie pictural la poussé jusqu'à son introspection, comme Tarkovski et comme nous nous devons le faire.

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le 11 mars 2013

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TheDuke

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