"C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mère qui prend l'eau" chantonnait (presque) Renaud. Et en effet, quand sa génitrice coule, torpillée par une overdose d'héroïne, Josh "J" Cody se voit contraint de quémander l'hospitalité de sa grand mère, entourée d'une sacré bande de psychopathes testotéronés.

Pour son premier film, David Michôd plonge sa caméra dans l'envers du décor de la ville de Mel Bourne (le frère de Jason ?), et ses proches environs. Soleil ruisselant irisant un ciel de plomb, moiteur époumonante des antipodes, gigantisme urbain constricteur et grands espaces du Bush dévoré de chaleur, l'environnement irradie de concert avec cette brûlante famille, dérangée et consumée de passions.

Car, une fois brisé le frêle esquif maternel, qui le protégeait tant bien que mal du feu de sa fratrie, voilà J. jeté en plein dans le tourbillon de violence qui entoure ses oncles, en guerre ouverte avec la brigade anti-gangs. On ne s'avertit pas, on ne se bat pas en duel, on se contente de se tirer dans le dos, de se tendre de lâches embuscades (mais y-a-t-il des embuscades courageuses ?). On prend les mors pour un oui ou pour un non. Et on ne laisse pas un crime impuni.

Le réalisateur, pour un coup d'essai, montre une belle maîtrise de la narration et de la mise en scène, sobre la plupart du temps. On ne s'ennuie pratiquement jamais. L'histoire est dense, sans fioritures excessives. Toutefois le scénario s'offre quelques aisances un peu dommageables pour faire rebondir l'action : "Oh tiens, un bracelet !" (j'ai cru un instant qu'il manquait une scène sur la bobine, mais ça semble normal). De même, les dialogues ne tranchent pas par leur vigueur, même si certains monologues, surtout ceux de Jacki Weaver, touchent au but. On déplorera aussi le déploiement d'une certaine pompe un peu superflue : le slow-motion, très pertinent sur la première heure, devient redondant durant la seconde. De même, le fond sonore tire-larmes pourra arracher plus d'un soupir d'agacement.

Malgré tout, le film ne joue pas trop de ces artifices, finalement assez peu trompeurs. Car c'est bien l'épatante galerie de personnages, foisonnante à souhait qui porte tout l'intérêt. Michôd convoque avec maestria la société australienne, sans appuyer les clichés (grâce justement à cette exubérance de caractères) : le milieu interlope en tout premier lieu, mais aussi la classe moyenne à moitié assoupie d'ennui et abrutie de télévision des banlieues pavillonnaires, les agriculteurs reculés, les policiers, les yuppies bronzés et dorés sur tranche.

Notons alors les prestations rigoureuses des différents acteurs. Et en premier lieu, Jacki Weaver, enthousiasmante en simili-mère maquerelle machiavélique et quelque peu incestueuse. Elle semble avoir remporté un oscar pour ce rôle, ce qui semble bien le moindre ! James Frecheville fait merveille en orphelin fin de race dépassé, un brin limité et borné. Il maintient une grande intensité tout du long des deux heures du métrage. Luke Ford ressort aussi tout particulièrement, en cadet tourmenté intérieurement et brimé extérieurement. Enfin, Guy Pearce, qui a chipé le physique de Yan Barthès pour l'occasion, une jolie moustache que ne renierait pas le petit père des peuples en supplément, s'impose en flic aux aspirations salvatrices.

Tout ce beau monde conte une histoire de famille tragique. Car cette pellicule est d'abord l'occasion de dévoiler les liens (violents) qui peuvent se tramer entre les membres d'une famille en plein dans le creuset bouillonnant du banditisme. Amour-haine, intérêt, peur ... La peur justement, qui remplit tous les personnages, jusqu'à déborder, pour certains. Car David Michôd s'interroge aussi sur les limites du courage et de l'honneur. Pour autant, et malgré la mise en avant de ces valeurs viriles, il serait réducteur de voir là un film machiste. Les femmes ont leur mot à dire, et de quelle manière ! On perçoit aussi une critique sociale assez virulente. Cette "Animal Kingdom", ne serait-ce pas, plus largement que cette famille de Melbourne, toute l'Australie, cette grande pièce de terre colonisée par les pires bagnards de l'Angleterre puritaine ?

Ce film, qui se suit avec grand intérêt, est très prometteur pour la suite de la carrière de son réalisateur, malgré quelques lourdeurs résiduelles. On s'embarquerait bien à nouveau pour son île, qu'importe que la mer soit aussi déchaînée que dans cette première œuvre.
Pedro_Kantor
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le 2 mai 2011

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Pedro_Kantor

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