Voilà que le dernier Carax, tant attendu pour ma part, sort enfin. A défaut de pouvoir me ruer dessus, je décide sagement d'aller le voir quand j'en aurai le temps. Et je ne peut pas dire que j'ai été déçu, mais simplement peut-être que la comédie musicale ne va pas bien à Carax, ou peut-être bien qu'il se fait trop vieux. Car si j'avais aimé Holy Motors, je n'ai pas aimé Annette.


Le premier problème pour moi se trouve dans la relation même du couple. D'accord les acteurs semblent bien aller ensemble, mais je trouve qu'il manque quand même de choses qui rendent crédible leur relation, ou en tout cas qui viennent nous prouver, et ce même par des trucs simples, leur amour réciproque. Il y a par exemple toute une scène chantée à base de "We love each other so much", et pour moi ça c'est la mort de la subtilité. Je m'explique : lorsqu'en tant que spectateurs on remarque qu'une relation entre deux personnages est plausible, et qu'il y a même de l'alchimie, eh bien c'est souvent grâce à la subtilité du metteur en scène, qui va s'attarder parfois sur rien qu'un petit geste par exemple. Là, c'est tout le contraire : il n'y a pas vraiment, à part deux scènes de sexe, de moments où Carax prend le temps de poser sa caméra et de filmer Driver et Cotillard d'un œil fin. Alors peut-être que le film ne veut pas seulement raconter cette histoire d'amour, je l'entend bien, mais à défaut d'être anecdotique cette dernière aurait au moins pu se vanter d'un côté tout à fait tragique (si l'on considère bien évidemment la suite du film, mais j'y viens).


La seconde chose qui m'exaspère un peu c'est de voir Carax filmer Driver qui fait son show sur la scène. J'y vois personnellement juste un moyen d'afficher sa performance : il va faire des blagues, danser, donner comme une impression d'improvisation (alors que tout est préparé, bien entendu).
D'accord cela nous permet d'en apprendre un peu plus sur lui, sur sa personnalité d'artiste un peu à part, mais au-delà de cet intérêt (qui est aussi purement scénaristique puisque l'on verra que les deux fois où Carax va filmer son show, ce sera seulement pour comparer la première impression du public à la deuxième), je n'y vois pas grand chose à part de la démonstration d'acting, et ça, ça à quand même tendance à me rebuter.


La petite référence à MeToo j'ai aussi eu du mal à la comprendre, mais peut-être n'est-elle qu'un prétexte pour incorporer Angèle dans le film, ou en tout cas dans au moins une scène ? Probablement, puisque les accusations portées par ces femmes n'auront aucune suite. A la limite l'intérêt scénaristique est encore une fois plus fort que le reste. Ce moment servira à créer le doute chez Ann, et peut-être aussi à plaire aux fans d'Angèle (qui sait ?). Il n'y aura pas vraiment de continuité dans le doute, mais seulement une fin, qui symbolise le point tragique du film.


Mais parlons donc du grand point tragique du film, moment qui changera tout pour son personnage principal : la mort de Marion Cotillard. Le problème exposé plus haut oblige, on s'en fiche un peu. Le personnage de la femme d'Henry est en soi est très anecdotique, alors forcément l'émotion procurée par sa mort est égale à l'intérêt que l'on porte au personnage. Il n'y a pas forcément grand chose à dire sur ce point là, contrairement à ce qu'il engendrera par la suite dans l'histoire et surtout pour Henry. Elle apparaîtra quelques fois pour menacer de hanter son amant, mais encore une fois cet aspect n'aura pas suite. Il y a une scène comme ça où elle apparaît dans l'embrasure de la chambre d'Henry, et puis elle avance, et hop on se prend un fondu au noir en plein visage. C'est tout. Rien de plus, encore une fois un potentiel, une idée gâchée.


Après cela, sa vie va donc radicalement changer. De l'artiste capable de mener avec brio son one man show et de faire rire son public, il passera à l'homme un petit peu dépassé qui usera de blagues franchement limites et ne gagnera que les huées des gens qu'il avait avant cela conquis. Il aura aussi entre autres des problèmes avec l'alcool (le sujet est sous-développé et ne sert que de prétexte pour déclencher ses pulsions de "méchant", mais d'un côté tant mieux, puisqu'on aurait pu craindre qu'il soit traité de manière trop banal). Bref, ses problèmes, c'est une chose. Mais il y a selon moi quelque chose de plus profond à relever, quelque chose qui touche à l'écriture du personnage. D'un homme qui nous paraît décalé, aimant (non-subtilement, mais aimant quand même, du moins c'est ce que Carax veut nous faire comprendre), et même peut-être sympathique, il va basculer à un connard complet, qui, sans vraiment d'ambiguïté, va plus susciter notre détestation totale qu'autre chose. On retourne véritablement la pièce, d'un coup sec. Après le tournant dramatique (qui sera d'ailleurs enclenché par Henry alcoolisé, mais passons), il est, à proprement parler, et de manière extrêmement drastique, devenu un autre homme. Et c'est tout à fait brutal et inattendu. Je ne comprends vraiment pas pourquoi Carax passe d'un personnage sous-développé à un connard de première comme ça, d'un coup, sans prévenir et surtout sans installer d'ambiguïté. Justement, revenons sur ce point. Et on pourrait à ce moment là comparer Henry à Andy Kaufman, puisqu'il semble véritablement, lors de son deuxième show, vouloir chercher le public, pousser la limite du comique et du sérieux le plus loin possible, brouiller les pistes, mélanger les degrés. Le moins qu'on puisse dire c'est que Carax n'est pas Forman. Et en tant qu'il n'est pas Forman, il ne va pas même s'embêter à créer une ambiguïté. Pour qu'on aime un personnage, il faut d'abord le rendre attachant. Si on ne l'a pas développé et que ce dernier n'a pas vraiment conquis la sympathie du public, eh bien le fait de le faire passer du côté du mal comme ça tout d'un coup nous fera juste remarquer à quel point c'est un connard. Et c'est tout. Il n'y a rien de plus. C'est un connard, point final. Il va exploiter sa fille, tuer un de ses amis, jouer à la fin au père aimant alors qu'on y croit plus du tout.


Ne parlons pas du personnage de Simon Helberg, qui est alors juste un prétexte ambulant pour faire avancer le scénario. Un prétexte pour foutre Driver en prison. Eh bien, qu'il y reste. En plus on sait très bien ce qui va se passer dans cette scène, et on voit bien que le personnage se laisse faire, se laisse abattre. Pour déchaîner la colère de Driver, il faut un motif. Et Henry aura beau trouver que son pote à une sale gueule, ce ne sera jamais une raison pour le frapper (notons qu'Henry est ivre dans cette scène, une fois encore !). Alors, qu'est-ce qu'on fait ? C'est simple, on a juste à inventer un truc qui puisse l'énerver. Tiens, disons que le compositeur à eu une brève relation avec Ann avant que cette dernière rencontre Henry. Et voilà, le tour est jouée, le manque d'écriture passe comme une lettre à la poste. Sauf que Carax sous-estime ses spectateurs...


Parfois même un petit détail peut me rebuter. La scène ou Annette joue (au xylophone, je crois) le fameux "We love each other so much" entraîne pour Henry une réminiscence de ses jours heureux avec Ann. Et l'effet utilisé est juste grossier. On est dans le flashback gratuit, encore une fois dans la mort de la subtilité. Au cas où vous l'aurez oublié, le personnage est triste avant tout, mesdames et messieurs les spectateurs !


Ah oui, et il faudra aussi penser à lui dire qu'une comédie musicale, ce ne comporte pas forcément que des scènes chantées. Et que ses quelques chansons des Sparks aux paroles qui ne volent parfois pas haut auraient pu être évitées, et qu'on aurait par exemple juste pu mettre un beau dialogue à la place. Ou s'il n'avait vraiment pas envie de faire parler ses acteurs, juste un beau moment, un truc silencieux où il aurait par exemple pu filmer le couple, plein de petites attentions, de désir. Un beau gâchis aux défauts qui rendent le tout barbant. Dommage !

JeanFoutre
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le 20 juil. 2021

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JeanFoutre

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