S'il est un film qui porte la désillusion en bandoulière, c'est forcément celui-ci. Parce qu'il ne cesse de scander l'inassouvissement, notamment familial et amoureux, mais aussi parce qu'il exploite ses partis pris figuratifs pour témoigner de l'insistante uniformité des hommes. Les visages s'apparentent à des masques dénués de charme, les voix se mêlent et se confondent étrangement, les postures semblent las, presque dévitalisées.


Avec talent, les réalisateurs Charlie Kaufman et Duke Johnson façonnent un monde déshumanisé duquel seule se distingue l'accidentée Lisa : commune, peu sûre d'elle, elle parvient néanmoins à électriser Michael, l'expert en relation client faisant figure d'antihéros, copie quasi caricaturale du père de famille quinquagénaire parfaitement désenchanté, l’âme en peine et le coeur en suspens.


Anomalisa opte logiquement pour des procédés sensitifs quand il s'agit de singulariser son héroïne : sa voix paraît déifiée, à contre-courant de l'homogénéité grisante qui s'exprime partout, dans les avions comme dans les hôtels.


La rencontre des deux protagonistes, la vedette d'entreprise et la jeune femme disgracieuse, n'est en fait qu'une énième occasion de moquer les pantins charnels que nous sommes : maladresses, fragilités et inconfort permettent à Charlie Kaufman de poursuivre son travail d’explorateur du genre humain, dans un monde tristement colonisé par le syndrome de Fregoli (ingénieusement, c'est le nom que porte l'hôtel du film).


Pour ceux qui en douteraient encore, on est en présence d'une animation strictement réservée aux adultes : il en va ainsi du long cunnilingus immortalisé en stop motion comme de l'escale dans un sex-shop ou de cette nudité exposée avec largesse et sans ménagement, mais aussi du désespoir inexpiable et permanent qui fait la saveur aigre d'Anomalisa.


Les cyniques et les farceurs diront, peut-être à raison, que la décalque est rigoureusement fidèle au modèle.

Cultural_Mind
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le 12 mars 2017

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