L'intrigue de ce petit film indé américain pourrait avoir l'air plutôt déprimante au premier abord: Une jeune femme promise à un avenir brillant tue la femme et l'enfant d'un homme en conduisant en état d'ébriété, après une peine de quatre ans de prison, elle essaie de remettre cet homme dans le droit chemin. Cependant cette tragédie se déroule dans un scénario de science-fiction. Une planète nouvellement découverte avance en direction de la Terre et semble être une image miroir de notre monde, avec notre population, nos villes, nos continents. Dans ce film, pas de petits hommes verts et pas d'effets spéciaux à proprement parler, il s'agit dans les faits d'un film de Hard-SF pur et dur, mais la présence menaçante de cette planète et de ses possibilités fait d'Another Earth un vrai régal métaphysique, avec des influences qui vont de Krzysztof Kieslowski jusqu'au Solaris de Andrei Tarkovski. C'est assurément un exemple de ce que peut apporter la SF en dehors des films d'action dont on a l'habitude, et la preuve que Science-fiction peut rimer avec intelligence.


Petit résumé du synopsis:
Rhoda Williams (jouée par Brit Marling, qui est aussi co-scénariste sur ce film) est sur le point d'intégrer le MIT pour y étudier l'astrophysique. Elle a 17 ans, sort d'une soirée arrosée et prend le volant de sa voiture. "J'avais le sentiment que tout était possible" dit-elle en voix off. La suite, vous la connaissez déjà.


L'intrigue à proprement parler se déroule quatre ans plus tard, la "Terre 2" plane maintenant sur l'horizon comme une seconde lune, et notre héroïne sort tout juste de prison, mais c'est maintenant qu'elle va commencer sa propre pénitence. Elle préfère nettoyer les toilettes de son ancienne école secondaire plutôt que de mettre en pratique ses capacités mentales. La nuit, elle écoute la musique composée par John Burroughs (William Mapother), le professeur de musique de Yale qui se révèle être l'homme dont la famille et la vie ont étés détruites par sa faute. Inévitablement, ces deux âmes en peine vont finir par se rencontrer.


Ce qui est frappant dans ce film, c'est en premier lieu son casting, Mapother, qui est surtout connu pour le rôle d'Ethan dans Lost, est le seul "vétéran" de la distribution (avec Kumar Pallana, un habitué des films de Wes Anderson). En fait il pourrait très bien s'agir d'un film indé européen plutôt qu'américain, on y verrait que du feu, c'est ça qui est étonnant, ce film a été dépossédé de tout ancrage culturel américain, ce qui donne au final un film au message assez universel, aussi bien sur le fond que sur la forme, un film qui peut assurément parler à tout le monde, sauf peut-être en ce qui concerne Brit Marling, ce moment ou vous découvrez une actrice qui sort de nulle part et semble instantanément être une star de cinéma, c'est magique. Et c'est très appréciable, car elle passe presque l'ensemble du film vêtue d'une combinaison informe et d'un bonnet de laine, mais a quand même l'allure d'une femme réellement désirable. Sa beauté est cependant accessoire à sa performance d'actrice, pour le coup, elle est impeccablement en phase avec son personnage; chaque scène est criante de vérité. Mike Cahill est certainement un très bon directeur d'acteur, qui guide réellement ses personnages à travers le processus de confrontation tout au long de l'intrigue principale, tout en les guidant également dans l'inconnu de l'intrigue secondaire.


Au final, c'est un film sur lequel tout le monde devrait se pencher, même ceux qui n'aiment pas la Science-fiction. La deuxième Terre ajoute ici un élément de mystère et apporte un vrai fond au film en symbolisant les peurs de ses personnages, mais cette intrigue secondaire ne prend jamais le dessus sur l'histoire centrale de nos deux personnages, car il s'agit d'un film de SF qui parle de l'humain avant tout, où la SF est utilisée à la base de l'intrigue, comme élément perturbateur, mais ne prend pas le dessus sur les réelles intentions du métrage.


D'ailleurs, ce qui est impressionnant, c'est la façon dont ce film fait rejoindre ses différentes parties en un tout. L'autre Terre est utilisée comme une astuce scénaristique virant au fantastique, car il s'agit d'une aberration scientifique, mais le message délivré est plus important que ce genre de considérations. La relation entre les deux personnages principaux est dangereuse, et découle d'un événement qui n'aurait, en principe, pas du se produire, mais la Terre 2, toujours bien visible dans le ciel, nous invite à réfléchir sur la fragilité de notre propre vie, sur la nature arbitraire de notre existence, sur le fait que notre vie découle d'un ensemble de facteurs tellement improbables que le simple fait que nous puissions marcher, respirer, vivre, aimer, est une chance infinie. En un sens, tout est possible. Dans un autre sens, tout ce qui nous arrive est inévitable.


En résumé, un bon film à petit budget, tourné, scénarisé et monté par Mike Cahill lui-même. Le film aurait peut-être gagné à avoir une approche plus classique, mais il est déjà fort bien mis en scène, et on tient peut-être l'émergence d'un nouveau talent en la personne de Brit Marling (bien que le film date déjà de 2011, il est vrai). Un film de SF qui pousse à la réflexion, et qui parle de l'être humain et de la vie avant tout, tout simplement un très bon film.

Schwitz
7
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le 24 oct. 2016

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Schwitz

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