Antichrist n’est pas un film qui pense, c’est un film qui ressent. Un film qui préfère l’improvisation à l’application – d’une idée, d’une thèse. La quête de l’image et des moyens à déployer pour lui donner vie s’effectue sous nos yeux, avec comme seul travail préparatoire cette base qu’est le script. Car l’invention formelle est constante, le cinéaste ne s’interdisant rien, cultivant les zones d’ombre et les violences tant psychologiques que graphiques. Lars von Trier entend capter par sa caméra les textures du rêve qui, dès l’ouverture, vire au cauchemar : visions, fantasmes, réalisme brut, tout cela se conjugue, s’agresse et s’entre-dévore pour ne former, à terme, qu’une même substance, un flux visuel et sonore qui jaillit à la manière d’une éjaculation permanente. Jouir dans la douleur, atteindre l’extase alors qu’un enfant se défenestre dans la pièce voisine. Antichrist unit plaisir et souffrance, affirme que le désir est une pulsion de vie et de mort. Désirer c’est avoir besoin, désirer c’est être en manque, désirer c’est regretter.


En résultent des explosions de sexe, de longs moments d’errance dans la forêt, une descente dans les tréfonds interdits de la conscience où les plaies ne trouvent pas les bandages aptes à les guérir. Voilà pourquoi Antichrist ne s’appelle pas « Antéchrist » : il n’est pas celui qui est venu avant, il incarne le refus du Christ, c’est-à-dire de la rédemption par la souffrance. Ici les personnages ne parviennent pas à convertir leur douleur en rachat de leurs peines ou de celles de l’humanité : l’arrière-plan satanique n’opère qu’en qualité de substrat, témoin de la propension de l’homme à engendrer des fictions pour se rassurer, pour se donner espoir.


En s’emparant des codes du film d’épouvante, Lars van Trier désamorce non pas le surnaturel – qui est une construction humaine, de l’ordre de l’inconscient – mais la surnature tout entière. Son scalpel scrute le corps, l’ouvre et le découpe : en dehors du cinéma, rien de tel. En dehors du film, pas de message auquel se rattacher. Le geste du cinéaste rejoue avec une ironie mordante la psychothérapie, tente d’enfermer par des chapitres parfaitement inutiles une matière mouvante, cette matière qui échappe sans arrêt et que l’on appelle homme. Et il échoue, immanquablement. De cet échec, pourtant, naît une œuvre imparfaite et terriblement libre qui s’amuse des sévices endurés par les protagonistes ainsi que par les spectateurs. Une œuvre sans discours. Un geste artistique pur, ou du moins aux allures de pureté. Radical par nature.

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le 10 sept. 2019

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