C’est la « relecture » de la célèbre tragédie de Sophocle - plus largement de la légende intemporelle de la mythologie grecque –, datée de 441 Av JC, que propose la réalisatrice Sophie Desrape dans le décor québécois.


D’autres s’y sont essayés avant elle, en France aussi, sans triomphe. Le cinéma n’a pas ému au même titre et autant que l’adaptation théâtrale d’Anouilh.


Est-ce à dire que, cette fois-ci, Sophie Desrape nous a convaincus ? Un bref rappel du mythe s’impose :


Créon, respectivement beau-frère, oncle et père d’Œdipe, d’Antigone et d’Hémon – son cousin auquel Antigone offrira finalement sa virginité -, règne et décrète l’interdiction d'ensevelir la dépouille de Polynice pour avoir comploté contre la patrie. Sa dépouille est jetée au pied des murailles. Antigone s’insurge et se rebelle ; elle résiste à la décision inique : l’affront fait à la dépouille de son frère. Elle brave l'interdit, mais un garde la surprend et l'amène devant Créon pour être emmurée vivante.


Retour au film. Cette fois-ci, dans une société québécoise - à Montréal - très moderne. Antigone, interprétée par la jeune actrice tunisienne aux yeux bleus aussi perçants que les flèches de Cupidon, étudiante brillante et humaniste, est dans l’expectative de la régularisation de sa situation par les autorités canadiennes.


Afin de sauver son frère, Polynice, qui a tiré sur le policier qui a tué son frère, Etéocle, criminel - le film a le mérite de ne pas passer ce point sous silence (Antigone, dans son combat de fuite en avant dira à son avocat « il a commis des crimes, mais « que » de petits crimes… ») – les réseaux sociaux s’emparent de l’affaire – la contemporanéité oblige - plus particulièrement dans les cités, au moyen essentiellement de la diffusion de vidéos de rap.


Ce qui apparait d’emblée c’est la motivation de l’Antigone de Sophie Desrape qui diverge diamétralement de celle de Sophocle. Une réplique de celle-là en contient toute la substance : « C’est pas le crime que je défends, c’est ma famille » La dimension héroïque universelle d’Antigone s'efface devant celle de la famille et, en définitive, se réduit au seul intérêt d'Antigone » : son cœur contre celui de l'état de droit et de la démocratie québécoise.


Alors effectivement, et comparaison n’est pas raison, l’Antigone de Sophocle combattait l’injustice, celle faite aux droits naturels de l’humanité.


La réalisatrice semble ne pas s’y être trompée, lors d’une scène plus insolite, quand Antigone est interrogée par une psychiatre, Thérésa, où l’on reconnait le devin Tirésias : « Tu seras emmurée vivante » Antigone au plus profond du rêve et de son inconscient, évoque le sens de son combat et la force qui la détermine : l’héroïsme. Mais, cette brève incidente semble n’être qu’un alibi de la part de la réalisatrice pour feindre de resituer au mythe sa « vérité » historique et intemporelle.


Il est très difficile et osé, à la décharge de Sophie Desrape, de procéder à une telle adaptation cinématographique. Le théâtre permet une restitution toujours plus convaincante de par la proximité et l’immédiateté. Jean Anouilh en est le parfait exemple. Certes, à l’instar de la réalisatrice québécoise, il a abandonné la dimension héroïque et mythique qui habite l’Antigone de Sophocle, mais la pièce respecte l’antique prédécesseur. Nul n’a fait mieux, au cinéma ou au théâtre depuis.


Le film, lui-même, est loin d’être mauvais, mais il ne restitue pas ce que l’on est en droit d’attendre d’une Antigone. Peut-être que l’angle choisi n’a pas été le bon, certainement, pour autant quelques scènes très réussies, que le rythme du film est insuffisant.


je ne déconseille pas ce film, loin du chef-d’œuvre, il a, cependant, le mérite d’exister ; il faut le voir, mais avec beaucoup d’esprit critique.


Bon film,


Michel.

michelblaise
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le 14 avr. 2020

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Michel BLAISE

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