Olivier Assayas revient à ses premières amours, chroniques d’une adolescence rebelle (Désordre, Paris s’éveille, L’eau froide) en bute contre l’âge adulte et l’ordre établi, et qu’il avait délaissé longtemps pour le film en costumes (Les destinées sentimentales), le thriller sophistiqué (Demonlover, Boarding gate) ou le biopic inspiré (Carlos). Problème : Assayas a visiblement perdu la main et/ou pris un sacré coup de vieux, parce que filmer l’exaltation de la jeunesse d’une façon aussi obsolète, c’est carrément brillant. Après mai, c’est après mai 68, son sillage, ses vestiges fumants desquels Assayas observe et questionne les consciences politiques encore bouillonnantes de jeunes étudiants en recherche de soi-même, mais s’épuisant au fil des mois et d’événements plus personnels.

On veut penser d’abord aux autres ("Tous nos plaisirs ne sont que vanité" a écrit Pascal, aphorisme entendu et placé en ouverture du film, tel un exergue en lettres d’or), défendre les usages d’une justice sociale égalitaire, puis finalement on finit par penser à soi, à ses études, à ses amours, puis ensuite on protège ses propres rêves. L’engagement démocratique est-il soluble dans l’individualisme ? Pas vraiment, semble nous dire Assayas, nostalgique d’une jeunesse revendicatrice qui se prenait des coups de matraques dans la gueule quand celle d’aujourd’hui passe son temps sur Facebook, Wawa-Mania ou chez H&M, s’indignant tout juste d’un antique CPE et d’une société prête à ne plus rien lui offrir, hormis des iPhones ou des cartes Imagine R. On a les idéaux que l’on mérite…

À grands renforts de métaphore lyrique lourdingue (le feu, très présent, comme embrasant le monde et les espérances, mais réduisant en cendres les illusions et les aspirations de chacun) et réglant ses pas sur les pas d’un personnage central (Gilles) qui, à lui tout seul, cumule trois tonnes de clichés (archétype de l’étudiant romanesque et romantique aux Beaux-arts, peignant de la merde dans son gigantesque atelier de gosse de riches à la cool avec la clope au bec et un morceau de Syd Barrett en fond sonore, les mèches longues et des bagues aux doigts, le regard mélancolique et lisant de la poésie ou des bouquins sur Mao… Stop, n’en jetez plus !), Assayas radote et verse sa petite larme sur la dimension politique de l’héritage soixante-huitard et celle, amoureuse aussi, d’un jeune candide aux prises avec les aléas de son temps.

Clément Métayer tire la (même) tronche pendant deux heures (il doit sourire, allez, trois ou quatre fois…) et annihile toute la force de son rôle censé être, pourtant, l’emblème généreux du film et le double fictionnel d’Assayas, ce même Gilles qui bataillait déjà dans L’eau froide. La plupart des répliques sonnent creux ou sont involontairement drôles (style "Quand le réel vient frapper à ma porte, j’oublie de lui ouvrir" ; beh connard, t’as qu’à acheter une sonnette…), et il y a quelque chose de foncièrement anachronique, caricatural et sentencieux, à entendre aujourd’hui des trucs du genre "Il faut porter le socialisme révolutionnaire au-delà des revendications petites-bourgeoises et du modèle trotskiste" ou "Les acquis de la révolution culturelle font peur aux impérialistes américains et soviétiques".

Pour ne rien arranger, les dialogues sont sans cesse marmonnés par de jeunes acteurs amorphes qui récitent leur texte comme s’ils psalmodiaient une rubrique nécrologique. Et puis c’est platement mis en scène (les plans à la grue et les fondus au noir font étrangement ringards), tout fait daté, tout est mou et le fond de l’air est à peine rougeoyant. Dans sa vision intime et respectueuse d’un post-68 revisité, remémoré tout à coup, entre peace and love à la campagne et dolce vita en Italie, entre pavés et fumigènes, tracts et graffitis gauchistes, Assayas veut dire la liberté de créer, de penser et d’aimer, et l’utopie de la révolte rattrapée par les cahots de la réalité (maladie, avortement, mort, routine du couple…). Mais il en oublie la fougue, il en oublie l’ardeur, autorisant un côté souvent artificiel qui malmène ses intentions. Si Après mai résonne, au-delà des échos et des mélodies des années 70, comme une espèce d’œuvre-somme pour Assayas, il le fait davantage, pour le spectateur, comme un film qui a raté ses belles promesses.
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le 12 nov. 2012

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