Quand un immeuble devient la métaphore d'une vie

La présence de Sônia Braga, alias Clara, était la condition sine qua non à ce que le film fût réalisé. Ça se comprend. Loin de faire ses 65 ans, l'actrice incarne parfaitement la femme de caractère que tous admirent des deux côtés de la caméra. Son jeu de fer allié au talent de Kleber Mendonça Filho pour faire parler les non expressions de ses acteurs donne une réalité aiguë à ses images.


Traitant le réel, le rêve et le souvenir en égaux, le film est conçu en un seul bloc inébranlable pourtant non linéaire, presqu'autant, en fait, que l'immeuble où vit Clara et qui va se trouver transformé par une génération nouvelle ; un régime politique contre lequel le film proteste en douceur, ce qu'il devra payer, dans le monde réel, du prix de la controverse.


Cependant c'est justement dans cet accueil injuste qu'Aquarius devient le plus vertueux et le plus éloquent. Sanctionné par la censure pour la forme de son œuvre, Mendonça Filho remporte une grande victoire de fond.


Sônia a vaincu le cancer trente ans auparavant. Maintenant c'est son appartement qui est malade. Le jeune entrepreneur qui veut détruire l'immeuble pour la mise en œuvre du projet Aquarius y voit une demeure simple peuplée surtout de souvenirs et de vieux vinyles ; il n'y voit pas la vie qui y a été menée.


Mais Clara, détentrice de cette vie, va découvrir malgré sa propre détermination que l'ouverture d'esprit acquise au travers d'une vie difficile, même maniée avec sagesse, ne suffit pas à faire remettre en cause les nouvelles valeurs du monde. Qui dit nouvelles valeurs dit nouvelles limites, et l'on peut compter sur le personnage et le réalisateur ensemble pour les déceler.


Le fond d'Aquarius a été en partie invisibilisé par des esprits trop fermés. Même si on l'ignore au moment du visionnage, le film en porte la marque avec dignité, car c'est son âme qui en est la cause ; la même que l'écran nous apporte encore maintenant.


Quantième Art

EowynCwper
6
Écrit par

Créée

le 28 oct. 2020

Critique lue 85 fois

Eowyn Cwper

Écrit par

Critique lue 85 fois

D'autres avis sur Aquarius

Aquarius
EricDebarnot
7

Le front de mer de Boa Viagem

Je fais partie des rares spectateurs français qui ont un rapport particulier avec "Aquarius", voire avec le cinéma de Mendonça Fillho en général. C'est que j'ai habité pendant près de trois ans à...

le 5 oct. 2016

22 j'aime

Aquarius
Sergent_Pepper
6

Mamie fait de la résistance.

Home, sweet home : alors qu’on attend d’elle qu’elle vende son appartement, comme l’on fait tous les résidents de son bloc en bord de mer destiné à la démolition pour un projet flambant neuf, Clara...

le 6 mai 2017

20 j'aime

Aquarius
CableHogue
8

"L'armoire, toute pleine du tumulte muet des souvenirs" (Milosz)

L’ambition d’Aquarius relève d’une double approche, le film se donnant simultanément comme le portrait d’un espace (un appartement situé en bord de mer, à Recife, au Brésil) et d’un corps (Clara,...

le 27 sept. 2016

17 j'aime

4

Du même critique

Ne coupez pas !
EowynCwper
10

Du pur génie, un cours de cinéma drôle et magnifique

Quand on m’a contacté pour me proposer de voir le film en avant-première, je suis parti avec de gros préjugés : je ne suis pas un grand fan du cinéma japonais, et encore moins de films d’horreur. En...

le 25 oct. 2018

8 j'aime

Mélancolie ouvrière
EowynCwper
3

Le non-échec quand il est marqué du sceau de la télé

Si vous entendez dire qu'il y a Cluzet dans ce téléfilm, c'est vrai, mais attention, fiez-vous plutôt à l'affiche car son rôle n'est pas grand. L'œuvre est aussi modeste que son sujet ; Ledoyen porte...

le 25 août 2018

7 j'aime

3

La Forêt sombre
EowynCwper
3

Critique de La Forêt sombre par Eowyn Cwper

(Pour un maximum d'éléments de contexte, voyez ma critique du premier tome.) Liu Cixin signe une ouverture qui a du mal à renouer avec son style, ce qui est le premier signe avant-coureur d'une...

le 16 juil. 2018

7 j'aime