A l'aube de la sortie du tout dernier film du grand Miyazaki, la question se fait pressante : Ghibli survivra-t-il au départ du maître ?
Arrietty laisse planer le doute quant à cette question de plus en plus légitime.


Mais il faut admettre qu'il paraît dans un contexte particulièrement difficile.


En effet, se pointer derrière Ponyo, joli conte tout en finesse propre à Miyazaki, et, m'a-t-on dit, époustouflant visuellement au niveau des couleurs au cinéma (je n'ai eu droit qu'à private session sur ma vieille télé à tube cathodique), ce n'est déjà pas évident.
Et il fallait de plus laver l'affront du fils qui, à la manière de bon nombre de "fils de...", pille l'univers de son papounet sans en saisir l'essence, et sans en transmettre la substance.


Mais là, déjà, ça commençait mal : une histoire qui n'est pas partie intégrante du folklore nippon (bon, il y a les aventures d'Issun, mais ça n'a pas grand chose à voir, à part la taille, et à ce qui paraît, la taille, ça ne compte pas) (merde, on m'aurait menti ?!), un fantasme du maître traité par un de ses animateurs, premier (et dernier, si l'on en croit les remarques péremptoires de Miyazaki dans le court morceau d'entretien que j'ai pu voir (quelque chose du genre "c'est beau, j'ai pleuré deux fois, maintenant je sais que tu sais réaliser, tu peux retourner à l'animation") ) essai à la réalisation donc de la part d'un talentueux animateur de l'écurie Ghibli, et ça se ressent dans le soin apporté à cette dernière, les jeux de mouvement des textures, que ce soit le pelage du chat ou les larmes qui perlent à grosses gouttes dans les yeux d'Arrietty, une bande son qui m'a personnellement peu séduit, bref, pas mal de casseroles aux fesses, ce petit dernier vrai faux Miyazaki.


Et le verdict ?
Une réalisation exemplaire, qui n'a pas à faire rougir le studio. C'est dans le sens du détail que Hiromasa Yonebayashi s'affirme ; ça fourmille de bonnes idées, il n'y aucun détail plastique laissé au hasard, les échelles de grandeur sont travaillées à l'extrême (je parlais tout à l'heure par exemple des larmes chez les chapardeurs, de la façon dont le liquide se comporte à cette petite échelle; de grosses gouttes gonflant, noyant l'oeil avant de se soumettre à la gravité et inonder le minuscule visage de la belle et courageuse Arrietty).


L'ombre de Miyazaki est là, indéniablement.
Mais à trop vouloir séduire ce dernier, le réalisateur tombe dans un double piège somme toute classique dans ce type de situation.
Le cucul du maître doit être lustré et briller de mille feux après cette session de léchage dans les formes, tant tout est calibré pour lui faire plaisir, pour se rapprocher de lui, pour flatter son ego, son génie, ses goûts (faire un film Ghibli, ça implique une certaine identité, je suis d'accord, mais de là à se contenter de mixer les différentes héroïnes de Miyazaki pour pondre Arrietty... "Maître, vous content, pas taper Igor ?").
La peur de l'échec se ressent dans chacun des détails du film, d'où un travail obsessionnel sur le moindre détail, une volonté de ne rien laisser au hasard, à la poétique visuelle (excepté lorsque ça peut séduire Papa Mimi bien sûr, comme les déformations du chat se pressant contre la grille pour se saisir de jeune Arrietty), au point d'en perdre à mon sens la vue d'ensemble, et d'en nuire au rythme du film, au déroulement de ce dernier, tant le réalisateur est immergé dans les détails.


Mais bon, ce n'est pas tant ça qui m'a dérangé, car la réussite visuelle est indéniable (et ma foi, pour l'héroïne, c'est une recette qui fonctionne, un point de repère agréable qui nous rappelle où nous sommes).
Le vrai problème de ce film est ailleurs, indirectement lié à tout ça.


Il faut dire que je rêvais (littéralement) de trouver des petits êtres dans les murs de ma maison, qu'ils soient Minipouces, Fragglerocks, lutins, fées, voire à la rigueur des Schtroumpfs dans mes moments d'indulgence onirique.


Mais c'est justement ce qui fait défaut ici (non, pas les Schtroumpfs) : le rêve. Tout simplement.


On peut reprocher d'autre choses, le vide scénaristique par exemple, le rythme narratif, le coté caricatural et mal dégrossi de certains personnages, le comportement absurde de la (enfin, est-ce un "la" ou un "le", le doute est encore là) gouvernante ("j'ai toujours rêvé de voir les petits chapardeurs alors je vais appeler l'exterminateur"... Homme ou femme, les raisons pour lesquelles elle souhaite capturer des hommes à taille de suppositoire est pour le moins inquiétante, pour peu qu'on ait les idées mal tournées...).


Mais moi, je ne lui reproche qu'une chose.
Il ne m'a pas fait rêver.
Reste la beauté du foisonnement visuel, la chambre d'Arrietty, la maison des chapardeurs, l'excitation de la découverte de la première chaparde, l'habile sens du vertige, de l'écrasante échelle du monde des humain pour ces petits êtres, des points d'orgue qui sont loin d'être négligeables, parfois beaux à couper le souffle. Mais coté poésie, le coche est partiellement loupé.


Un réalisateur de plus chez Ghibli peut-être, mais toujours pas de digne successeur. Et ça, c'est triste.

toma_uberwenig
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le 13 juil. 2011

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toma Uberwenig

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