Qui est Karim D. : l’écrivain engagé que les médias s’arrachent ou son alias Arthur Rambo, auteur d’anciens messages haineux que l’on exhume un jour des réseaux sociaux ? Pour commencer, Karim D c'est un peu Medhi Meklat, un écrivain, réalisateur et chroniqueur français né à Clichy qui a fait l'objet en 2017 d'une polémique lors de la découverte d'une série de tweets ouvertement racistes, antisémites, homophobes et misogynes qu'il avait publiés sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps.


Acte I, scène I : Karim D est l'invité d'une émission littéraire tendance La Grande Librairie. Un jeune homme d'origine maghrébine, c'est lui, et une présentatrice sont noyés dans un océan de fond vert. Karim est un auteur que s'arrachent les médias à la suite de la publication d'un roman centré sur l'histoire de sa mère Débarquement. Un premier filtre, celui de l'écran de télévision qui retranscrit la scène illustrée par un décor luxueux puis un second filtre, celui d'un téléphone portable photographiant l'écran de télévision. Cette ouverture n'interroge pas sur la réalité de telles images qui nous sont données à voir mais sur leur véracité, sur leur caractère mensonger, sur leur capacité à nous berner pour le meilleur et pour le pire. Cette mise en abyme ne s'appliquera pas seulement au décor.


Acte I, scène II : Karim est l'invité d'une soirée mondaine à Paris. Dans cet aquarium de nantis, requins et poissons clowns sont mus par leurs intentions. Lui qui pensait nager sans être inquiété devient la proie ou plutôt le pestiféré de ce milieu d'arrivistes dès lors que son identité d'Arthur Rambo est reliée à la sienne. Les tweets pleuvent et tachent l'écran de leur ignominie. Dès lors, ce transfuge de classe sera mis hors-jeu autant par ses adorateurs de la veille que par ses amis de cité. Rendu antipathique par ses tweets nauséabonds, Karim K joué par Rabah Naït Oufella est un personnage ballotté qui ne cesse de douter sur les raisons de ses actes longtemps soutenus par ses pairs. Ils vous ont bien fait rire ces tweets non ? Heureusement encore, dans ce monde tout ne s'explique pas, ou pas totalement. Désir de tester ses limites ? Cela s'entend pour un adolescent. Désir de diriger les projecteurs sur la jeunesse oubliée des quartiers abandonnés ? Cela s'entend également. Ne faut-il pas peser les poids des mots pour se rendre compte de leur extrême force ? Probablement.


Ce huitième long-métrage de Laurent Cantet scrute intelligemment la réalité d'un monde affecté par la maladie du virtuel qui gangrène les esprits plus rapidement encore que les cellules cancéreuses. À travers les discours de tous les personnages que Karim rencontre, le film pense tout et son contraire, c'est peut-être ça penser, sans psychologiser. Cantet pousse son personnage à puiser dans ses ressources humaines mais il est une vérité qui ne peut se nier : ce n'est pas parce que le soleil est dissimulé derrière les nuages que les rayons U.V ne nous touchent pas. Il en est de même pour la virtualité : ce n'est pas parce que les mots sont virtuels qu'ils ne nous affectent pas. Un huitième long-métrage pétri de justesse, couvert d'un manteau froid qui ne cesse d'émuler la pensée. Rien est explicite. Tout se dit à travers les yeux, à travers les mots, à travers la toile. L'amour du cinéma bien fait. Dans un autre monde, peut-être virtuel, Arthur Rambo et Paul Verveine aussi se sont aimés. Peut-être auraient-ils tweeté au XXIème siècle. Peut-être auraient-ils été les auteurs de mots assassins.

thomaspouteau
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le 2 sept. 2021

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