Quatre copines de lycée qui minaudent sur les mecs, qui parlent de sexe, écument les réseaux sociaux et font la fête : jusque-là tout va bien. Et puis un hacker vient semer le chaos en révélant publiquement détails personnels et photos compromettantes de la plupart des habitants de la petite ville de Salem : rien ne va plus, c'est quoi ce bordel, ça balance pas mal sur Twitter et ça menace grave sur Insta. Le maire aime bien porter de la lingerie féminine (et plus avec affinités), le proviseur aurait des tendances pédophiles, ces messieurs trompent mesdames avec la voisine ou la baby sitter et les selfies coquins sont jetés en pâture 2.0. Le jeu de massacre peut commencer à coups de hastags vengeurs, de foule haineuse et de battes de baseball dans la gueule.


Que le récit ait lieu à Salem n’est évidemment pas un hasard ; Salem, où eut lieu le tristement célèbre procès des sorcières, s’avère l’endroit idéal pour dénoncer vindictes populaires et lynchages mondialisés. Les temps changent, les habitudes restent. Aujourd’hui on ne brûle plus femmes et hommes sur la Grand-Place et sous les vivats, aujourd’hui on condamne à mort derrière son écran et dans son canap'. Éventuellement on va écharper après, si on est d’humeur. Et le film de pousser jusqu’à l’absurde ce phénomène, cette dérive contemporaine en observant une communauté s’autodétruire inexorablement, prônant le retour de milices armées et punitives, d’un tribunal moral où l’émotion brute, la colère et l’immédiateté auraient pris le pas sur la raison et le moindre jugement établi.


Certes, le scénario paraît enfoncer des portes ouvertes (la diabolisation des réseaux sociaux ne date pas d’hier et charrie désormais son lot de lieux communs). Certes le propos est noyé sous un déluge d’effets ultra stylisés, de musiques pop et de violence, encore que, sur ce dernier point, on se dit que le film semble partagé entre la volonté de ne pas trop choquer non plus et l’envie d’y aller franchement, d’où sans doute ce sentiment d’entre-deux, de légère frustration aussi. Mais Assassination nation parvient malgré tout à asséner ses quatre vérités (mâtinées d’un féminisme pétaradant) avec ardeur et un brio certain (superbe plan-séquence à suspens estampillé De Palma), et sa charge ne s’arrête d’ailleurs pas à l’Amérique seule, mais bien à ce monde qui nous entoure. À ce monde follement, furieusement, désespérément connecté.


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mymp
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le 24 déc. 2018

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