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Dire que l’espoir de voir une nouvelle adaptation réussie d’Asterix s’était peu à peu éteint depuis Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre relève de l’euphémisme. Une franchise autant souillée par son propre co-géniteur (fossoyeur ?) que par des films aussi insipides que creux qui, au lieu d’avoir mis l’Olympe à leurs pieds, auront durablement entaché un crédit que l’on pensait inaltérable après le petit miracle Nul d’Alain Chabat.


Pendant ce temps, un irréductible éru-druide lyonnais plaçait au Panthéon des séries télé françaises (et internationales) l’œuvre d’une vie, un autre miracle artistique, d’une audace visuelle et scénaristique sans équivalent dans le paysage télévisuel français du début des années 2000 : Kaamelott. La plume affûtée, les dialogues ciselés, portée par des répliques et des personnages dont le sobriquet « culte » ne sera pour une fois pas galvaudé, somme de références aussi diverses (les Monty Python, Excalibur de John Boorman pour ne citer que les plus évidentes) que parfaitement digérées, Kaamelott est et restera pour beaucoup l’exemple-type de ce que le savoir-faire français peut produire lorsqu’il s’en donne les moyens. Une série qui aura révélé aux yeux du grand public le talent de son créateur Alexandre Astier, et qui aura fait les belles heures de la chaîne M6.


Ce n’est donc pas un hasard si cette dernière, ou tous cas la maison de production lui étant affiliée, M6 Production, se tourna de nouveau vers Astier pour tenter de transposer sur grand écran une énième aventure d’Astérix, caressant l’espoir de renouer à la fois avec un succès public ET critique, cette critique positive qui fuyait tant la série depuis 2002.


Carte blanche, c’est visiblement ce qu’exigea Astier lors du choix du tome à adapter. Carte blanche accordée, et M6, et nous-mêmes, n’avons définitivement pas à le regretter…


À l’heure de l’hégémonie des blockbusters de super-héros et du cinéma d’animation 3D américain, le choix d’Alexandre Astier de se tourner vers Le Domaine des Dieux sonne non seulement comme une profession de foi, une déférence envers tout un pan de la contre-culture américaine qu’il affectionne tant, mais aussi comme un cri du cœur envers notre propre héritage mythologique et culturel, en replaçant au cœur de ses enjeux narratifs des héros trop souvent ringardisés, piétinés et martyrisés dans leur essence, mais qui n’ont pourtant rien à envier à leurs cousins d’outre-Atlantique.


Sous couvert d’une adaptation fidèle de l’univers de Goscinny et d’Uderzo, n’oubliant aucun des référents visuels propres à la série ni les clins d’œils auxquels tout fan attachera une importance capitale, Astier transcende ainsi son récit en y ajoutant une profonde dimension héroïque, faisant d’Astérix et surtout d’Obélix ce qu’ils ont toujours été depuis leurs origines, mais qui a malheureusement été trop souvent oublié à travers les précédentes décennies : des (super) héros, à échelle humaine, pour les enfants que nous fûmes, et ceux qui seront.


Axant sa narration à travers les yeux d’un enfant romain (le bien-nommé Apeldjus) ne jurant que par Hercules, Astier fait de la figure du héros, son importance comme référent moral, sa place dans la naissance d’un espoir commun, le moteur essentiel de son Domaine des Dieux, conférant d’ailleurs par le fait-même son plus grand rôle à Obélix, charismatique de puissance comme jamais.


L’éternel affrontement entre Astérix et Obélix et leur némésis César se fait donc désormais l’égal des batailles entre les X-Men et Magnéto, entre Superman et Lex Luthor.


Convoquant à la fois les références des comics, les répliques-cultes du monde Geek (un « Vous ne passerez pas ! » qui se passe de commentaires), et autres influences profondément hexagonales, Alexandre Astier donne une leçon d’adaptation filmique, actualisant sans en altérer l’essence les enjeux d’une oeuvre intemporelle et chef-d’œuvre absolu de la bande dessinée franco-belge.


Résolument moderne et fière de ses origines (immortel Roger Carel !), cette transposition animée du Domaine des Dieux doit néanmoins autant sa réussite à l’excellence de l’écriture d’Astier (on ne dira jamais à quel point l’humour Kaamelott sera livré à la postérité) qu’au sublime de la mise en scène de Louis Clichy, pur produit de l’école Pixar, dont le sens du rythme et de l’esthétique confère une élégance et une noblesse visuelles rares dans le cinéma d’animation français.


Les couleurs pastels le disputant au rendu parfois proche de maquettes en pâte à modeler à la Aardman, la perfection de la lumière transcendant le tout, des plans aérés par une caméra respectueuse de ses personnages et de ses décors : Astérix et Le Domaine des Dieux est la pépite visuelle qu’on n’espérait plus.


Intelligence narrative, intelligence visuelle : un duo Aster-Clichy qu’on serait tenté de rapprocher du duo Goscinny-Uderzo de la grande époque, et qui nous délivre avec ce long-métrage probablement la meilleure aventure d’Astérix, tous médias confondus, depuis la disparition de son créateur et scénariste de génie.

Kefka
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le 19 avr. 2015

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