Dès le départ, le projet aura inspiré une sympathie quasi-spontanée. C'est sans doute la principale force d'Astérix - Le Domaine des Dieux. Exit la nullité abyssale des films "live", dont seul le deuxième opus d'Alain Chabat avait réussi à conjurer la ringardise agressive, et encore, à grands coups de private jokes et d'humour Canal assez inadapté. Ici, nul Christian Clavier et son hystérie coutumière (Astérix & Obélix contre César), nul Jamel Debbouze pour séduire le public de la téci et les bobos aware (Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre), nul Benoit Poelvoorde cannibalisant une scène dramatiquement vide (Astérieux aux Jeux Olympiques), et nul Laurent Tirard échouant piteusement à retrouver l'esprit original (Astérix & Obélix : au service de Sa Majesté). Non, ici, place à Alexandre Astier. Et considérant l'image calamiteuse que la franchise ciné s'était tricotée au fil des années, il fallait au moins un caractère de cette trempe pour redresser la barre. Car le résultat est bien simple : si l'on aime la bédé Astérix, et plus précisément l'opus adapté (soit le préféré d'Astie - et de l'auteur de ces lignes), si l'on aime les films d'animation à la Pixar, si l'on aime l'humour Kaamelottesque (quand même sacrément singulier), et qu'enfin, l'on n'a rien contre le made in France... on résistera assez mal au charme de ce divertissement haut de gamme. Note : si ça peut rassurer certains, la présente critique va éviter de glisser un "par toutatis !" en douce entre deux mots, contrairement à d'autres. Question de dignité.
LES PLUS :
- L'excellent choix du Domaine des Dieux, un des seuls albums (aux côtés de quelques autres comme La Rose et le Glaive) à aborder des problématiques sociétales modernes : les Belges, le devin et le bouclier averne, c'est très bien, mais ça ne vaut pas l'opposition France des villes/France des champs, le choc des classes, et tout un tralala qui continue de chiffonner le Français moyen.
- L'emballage très réussi. Au risque de sonner un peu précieux, esthétiquement, Le Domaine des Dieux est juste exquis. Bien sûr, on est loin de la maîtrise pixarienne, notamment au niveau des détails, mais c'est probablement à mettre en rapport avec la limitation du budget (celui de Wall-E : 180 millions de dollars ; celui du Domaine des Dieux : trente-sept…). Après tout, le co-réalisateur Louis Clichy est passé par les studios Pixar ! Et puis la direction artistique, le character design cartoonesque, et l'incontestable fluidité de l'animation compensent largement : c'est coloré sans être criard, doux dans les angles, pétillant et primesautier. L'auteur de ces lignes dépenserait des fortunes pour s'approprier d'éventuelles versions en pâte d'amande (et les manger ensuite).
- La preuve, du coup, que la France peut proposer un film d'animation en 3D digne de ce nom, grâce aux artisans de talent de la petite société Mikros, ouvrant probablement la voie à d'autres.
- La réussite du character design implique forcément la fidélité au matériau original. Et force est de reconnaître que les gars de Mikros ont fait un excellent travail sur ce plan, aidés, il faut le reconnaître, par le coup de crayon d'Uderzo, qui se prête davantage à la 3D que celui d'un Hergé.
- La drôlerie nuancée de l'ensemble, bâtie naturellement sur les excellents gags de l'album, mais aussi sur la fusion des humours de Clichy et Astier, le premier, très visuel, proche d'un Chaplin, et le second, à rapprocher d'un Audiard, et d'un absurde monty-pythonesque (l'amateur de Kaamelott comprendra). Le très courtois esclave en chef Duplicatha, absurdement interprété par le bien blanc Laurent Lafitte pour un résultat désopilant, en est un excellent exemple.
- Un casting au diapason de l'humour précité : la scène de l'arrachage d'arbres nocturne donne une assez bonne idée de la direction d'acteurs. Face à Astier dans le rôle du centurion, Deutsch, Gazan, Semoun et Lafitte sont à fond dans le délire, et ça paie.
- La capacité d'Astier à s'être approprié l'histoire d'origine sans jamais chiffonner le récit ni trahir l'esprit de l'album original : les rallonges d'intrigues originales et les sous-intrigues inédites qu'a dû imaginer Astier pour donner au film une durée de long-métrage (minimale : 1h25 !), comme l'amitié entre Obélix et le petit Romain Apeldjus (fallait le sortir, celui-là), passent comme une lettre à la poste.
- La présence du doubleur original d'Astérix, Roger Carel, 87 ans au compteur, et de retour pour un tour. Pas besoin d'être fan des vieux dessins animés de notre enfance (bien que les Douze Travaux était assez top quand même), il suffit d'avoir sa voix en tête : au-delà de la performance borderline WTF (on retrouve "trait pour trait" sa voix des premiers films alors que quarante ans sont passés), on est surtout étonné par la familiarité immédiate qu'elle induit.
- Le propos politique du film (parce que celui de l'album original), pain béni pour tout traditionaliste qui se respecte : excès de la modernisation, dangers que fait peser l'impérialisme sur les cultures et les traditions locales, cancer de la technocratisation, crise identitaire, et résolution du problème par une bonne grosse mini-guerre… à un moment, le mot "regroupement familial" est même prononcé. Non, ce n'est pas du second degré, bien essayé. Et rien de surprenant, Astérix ayant toujours été une bédé chauvine pour le meilleur. Mais il est tout de même amusant de voir des critiques parisiens encenser le film, alors que nombre d'entre eux doivent être socio-libéraux, globalistes (pro-ouverture des frontières et flux anarchiques de populations au gré de l'offre et de la demande, de fait anti-identitaires), et pro-UE (pro-impérialisme américain sans le savoir)…
- Élie Semoun en nabot légionnaire Cubitus : c'est sympa, d'apprécier sa présence, une fois tous les dix ans !
- Tout le passage monté sur Perche ti amo. Sérieusement, les gars, trop fort.
- "Vous êtes efficace." "Non, je suis romain."
- "Chargeeeeez s'il vous plaaaaiiiiiiiit."
- Le shifumi.
LES MOINS :
- Le côté caoutchouteux des volumes (personnages et objets) dans les gros plans. C'est un peu dommage. Comme envisagé dans la partie "plus", c'est sans doute à mettre sur le compte de limites budgétaires. Mais toujours est-il que.
- Quelques baisses de rythme, notamment à mi-métrage, soit pile au moment où les Romains sont enfin installés dans le domaine, et où Astier doit broder tout seul comme un grand. Rien de méchant, ceci dit.
- Quelques doublages manquant de caractère : par exemple, Alain Chabat n'a pas DU TOUT une voix de doubleur.
- La fidélité d'Astier à l'album produit un résultat fort satisfaisant (pour les raisons citées plus haut), mais qui ne fonctionne pas pour autant à 100% : malgré les délires typiquement astieresques qui émaillent le film, on sent que lui et son co-réalisateur Clichy ne se sont pas trop laissés aller non plus, sans doute par trop-plein de respect… un respect à double-tranchant. Tout est sous contrôle, rien ne dépasse, et l'on aurait aimé sentir un petit vent de folie, sentir le film prendre quelques risques, improviser un peu. En résulte un nombre assez faible de vraies trouvailles.
- Avec Le Domaine des Dieux, vous ne mourrez pas de rire. C'est très agréable parce qu'enlevé, malin et drôle (faut pas déconner non plus), mais ceux qui cherchent l'hilarité autodestructrice devraient passer leur chemin. Cette efficacité comique relative serait-elle pardonnée sans le côté madeleine de Proust ? Qui sait...
- Pas assez de nouveaux noms débiles (il y a certes Travaillerplus, Apeldjus, et le meilleur pour la fin, Oursenplus, mais c'est tout ?). Sérieusement, c'est pourtant pas difficile, Cunnilingus. Et il y en a un autre top, aussi : Abrutix. Paindépix, également. Bref.
- Quasiment pas d'Assurancetourix.