Comment faire d'un combat absolument fondamental un film parfaitement dispensable ? La recette en trois points. D'abord, monter une histoire assez touchante, soit, mais dont les rebondissements sont suffisamment invraisemblables et mal amenés pour qu'on puisse raisonnablement douter de sa véracité, malgré l'avertissement du préambule proclamant "tiré de faits réels". Les avertissements de préambule, c'est comme les panneaux explicatifs finaux, ça ne présage rien de bon, vu que c'est là pour palier des manques patents du scénario. Ensuite, en second lieu, confier l'incarnation des archétypes de ce "combat pour une qui vaut pour toutes" à des actrices sans grand charisme, dont on finit par se demander si elles jouent vraiment dans le même film, et les plonger dans des méandres intimes cousus de fils blancs. Franchement, l'avocate en plein divorce dont la vie privée est phagocytée par la vocation professionnelle, on nous l'a fait mille fois. Comme celle du fils malin et mignon qui fait montre d'une maturité folle mais dont la complicité avec sa mère s'étiole, prétendument en raison du fait que celle-ci serait accaparée par son métier, alors qu'elle vit de la même manière depuis le début et que les gamins finissent tous par sombrer tête la première dans les tentations de l'adolescence. Comment vous culpabiliser une femme en une leçon, il n'y a rien de tel, et là, le film s'avère tout bonnement contre-productif. Rajoutons un mari lui-même avocat doté malgré tout d'un besoin nombriliste de se faire chouchouter par une femme quand ses propres clients ne sont pour lui que des marche-pieds, et un patron jadis idéaliste mais rattrapé par la voracité sans fond du système américain, qui pousse les gens à travailler toujours plus pour éponger des dépenses non maîtrisées, et voilà que gravitent autour de l'incorruptible défenseure des cas perdus d'exigeants patriarches tout prêts à lui mettre des bâtons dans les roues... le propos féministe s'en retrouve peut-être renforcé, mais aux dépens des hommes, ça tend le bâton pour se faire battre. Du coup, tous ces machos pleins de certitudes vont vaciller gentiment sur leurs fondements et ouvrir les yeux, par l'opération du Saint-Esprit, sur leur position dominante aveugle, shazam ! La vraisemblance fait encore de petits bruits ténus tandis qu'elle expire inexorablement au fond du jardin... Troisième écueil : le propos lui-même, et ça, c'est à la fois le plus gênant et le plus intéressant pour un spectateur dont jusque là l'esprit s'était mollement mis en mode roue libre devant cette histoire balisée. Le combat de cette supermaman superavocate incomprise, c'est de démontrer in fine que les femmes, malgré leur supériorité numérique dans le monde, sont bel et bien une minorité et devraient être protégées comme telle. Or elle va devoir démontrer, en l'espèce, que les Talibans violaient aussi bien les hommes que les femmes, et ce de façon systématique, comme rétribution des offenses faites à leur dieu rageur. Donc que les sévices sexuels n'étant pas l'apanage du beau sexe, ce dernier mériterait lui aussi la protection des règlements migratoires étasuniens, qui ne protègent que les minorités menacées. Ou comment résoudre un problème par l'absurde, en somme. Le droit américain en sort confondu et ridiculisé, de fait : tout emberlificoté dans sa profusion de textes qui verrouille une seule logique implacable, il s'obstine à préserver l'illusion d'une équanimité froide et rationnelle, qui l'amène à négliger une évidence qui rend absurde toute l'intrigue du film : la protection des minorités n'est pas un objectif en soi, il n'aurait jamais dû l'être. L'honneur des forts, c'est de protéger les faibles, un point c'est tout. On ne devrait même pas prendre fait et cause pour le combat insensé d'une femme pour contourner une réglementation inutilement intransigeante et finalement discriminatoire. Et c'est pourtant la couleuvre que ce film tente de faire avaler, avec ses femmes aux yeux humides et ses gens de loi durs à l'extérieur mais ouatés au dedans... Tout ceci ressemble finalement à une imposture, comme un peu tous ces systèmes rigides qui nous entourent, nous protègent et nous étouffent. En somme, j'y ai plutôt entendu une plaidoirie pour un retour à un commandement fondamental, qui pourrait, unanimement appliqué, nous libérer de tout carcan textuel : aime don' ton prochain comme toi-même, bourrique.

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le 21 nov. 2020

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