Portrait d’une professionnelle en terre étrangère

    Yoko (Atsuko Maeda) se trouve en Ouzbékistan pour tourner une émission de télévision sur la culture locale. Transportée de site en site au rythme de l’équipe de tournage masculine elle peine à trouver le sien, répétant en vitesse de courts textes avant de les animer avec un enthousiasme forcé devant la caméra.

Du souffre-douleur de divertissement...


Poupée de ce programme Yoko apparaît d’abord comme une figure de farce aux dépens de laquelle rire, une clownesse triste. Face aux imprévus l’équipe de tournage l’embarque dans des situations improvisées et inconfortables, d’un restaurant à une violente attraction foraine. « Je suis prête » répond t-elle. La voir appréhender et subir ces scènes comme autant d’épreuves tout en feignant la gaieté est amusant. Quelques rushes de l’émission illustrent le contraste entre ses efforts et la candeur de son personnage de télévision. Comme elle le dit avec lucidité lors d’une conversation avec le cameraman (Ryo Kase) travailler pour la télévision est une affaire de réflexes. Yoko est une professionnelle, et c’est ce que son travail exige d’elle qui la rend malheureuse : partir tourner loin de son fiancé dans un pays dont elle n’est pas curieuse.

… à l’héroïne de drame existentiel


Au cours de son film Kurosawa ne fait pas tant évoluer ce personnage courageux que notre regard sur celui-ci, délaissant les situations comiques pour celles révélant les difficultés, mais aussi les aspirations et la combativité de Yoko. Le jeu des plans la détache souvent de ses quatre collègues. Face aux habitants dont elle ne comprend pas la langue, Yoko n’a qu’une réponse qui coupe court à toute possibilité de rencontre : « Non ». Les bruits de la ville sont agressifs, la lumière crue, et Yoko est prise de panique pour attraper un bus, semer des marchandes insistantes, retrouver son chemin. Elle ne reprend son souffle qu’à l’intérieur des chambres d’hôtel aux lumières tamisées, et son visage ne s’éclaire brièvement qu’en pianotant sur son téléphone portable. Les ombres sont nombreuses sur ce portrait de jeune femme.
La peur de Yoko est le principal sujet du film, c’est l’emprise de cette émotion sur elle qui dramatise son voyage, provoque ses fuites qui aboutissent aux vraies rencontres qu’elle fera. Personnage qui se sent menacée partout, elle se révèle une héroïne pour laquelle on éprouve de l’empathie, comme son interprète attentionné (Adiz Radjabov) et ses collègues qui tentent chacun à leur tour de la comprendre.

Que voir, que faire en Ouzbékistan ?


Ainsi la petite équipe japonaise sans direction en vient à tourner autour de Yoko, qui découvre les rues de Samarcande et Tachkent en errant et fuyant ses habitants. Mise en abyme parmi les nombreux symboles que suggère le film, l’Ouzbékistan est secondaire dans le film de commande de Kurosawa. Yoko n’y trouve pas tant l’altérité qu’un théâtre où ses angoisses viennent bousculer une image idéale d’elle-même. Est-ce un hasard si le lieu hors du monde où elle s’exprime à cœur ouvert s’avère l’œuvre d’ouvriers japonais ? Aucun de ces reporters ne manifeste d’intérêt pour le pays qu’ils doivent filmer, ils se contentent d’y chercher ce qui s’y trouve de plus familier aux goûts de leur public. De manière analogue, les amateurs du cinéaste prennent plaisir à retrouver dans ces cadres les atmosphères irréelles et hantées de Kaïro (2001), Jellyfish (2003), et Shokusai (2012), dont les spectres visitent les espaces ouzbeks. 
Otuscops
7
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le 27 mai 2021

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