Vous ne l’avez peut-être pas lu, c’est tout du moins mon cas, mais impossible que Moby Dick ne vous soit pas connu : roman culte de Herman Melville, celui-ci se faisait l’écho d’une époque balbutiante où l’Homme poursuivait sa conquête de la Nature, déjà non sans absurdités, mais aussi d’un fait historique l’ayant fortement inspiré. Baleinier deux années durant, l’auteur aura en effet eu vent du naufrage de l’Essex en 1820, coulé selon les rares survivants par un cachalot belliqueux : toute une histoire !


C’est ainsi que, de nos jours, le romancier Nathaniel Philbrick accoucha de In The Heart of the Sea qui en relate les faits : à contrario d’un Moby Dick davantage fantasmé, son récit se veut donc davantage mer à mer et vraisemblable dans sa représentation de faits incroyables mais réels. Néanmoins, le caractère insondable et ancestral de l’Océan a sa propre logique : de fait, quand bien même la charge de l’adaptation devait revenir à un réalisateur communément « plat » tel que Ron Howard, la puissance d’évocation d’un tel sujet demeurait à même de transparaître.


Au bout du compte, il y a vraisemblablement un peu des deux, In the Heart of the Sea composant une fresque immersive, tirant de son mieux profit du caractère inexorable de la Grande Eau souveraine ; mais aux antipodes d’une immensité grisante, le jonglage temporel qu’opère le film avec la « réalité » du romancier l’inscrit aussi dans une case d’ordinaire convenue : celle du biopic. Certes déguisé en tant que tel, mais le fait est que sous son vernis d’aventure avec un grand A, la trame raconte tout autant la genèse du classique de Melville… et par extension l’œuvre de Philbrick.


In fine, In the Heart of the Sea a cela d’intéressant qu’il maintient un certain équilibre entre les deux tableaux : d’un côté celui nous conduisant aux confins du crédible, le drame s’arrogeant une teneur exceptionnelle à nulle autre pareille, et de l’autre celui-ci du récit d’un dernier témoin en quête d’une ardue rédemption, gage d’une démarche davantage intimiste (sur le papier tout du moins). Les belles prétentions du support papier transpire donc à travers le film, qui démontre d’un sérieux louable dans sa retranscription : la reconstitution d’époque est parfaite, ses protagonistes et seconds couteaux sont attachants et, enfin, force est de constater que le récit dans le récit est souvent haletant.


Toutefois, sans aller jusqu’à réduire ce bon Ron au statut de réalisateur de commande, il y a amplement matière à faire la moue : car qu’il s’agisse d’une morose révélation dramatique, celle-ci se voyant venir à des kilomètres, ou plus formellement la rareté (si ce n’est absence) de partis pris contemplatifs, à même de rendre hommage à la Nature de son sujet, In the Heart of the Sea est finalement plutôt plat dans son exécution. Hormis l’apport attendu de séquences clés, telle celle du naufrage, le scénario ne provoque ainsi guère de remous, celui-ci se contenant d’ailleurs de survoler le rapport hypocrite de l’Homme vis-à-vis de son propre monde : celui-là même où les notions du bien et du mal coule à pic dans le sillage d’un cachalot tenace.


Divertissement aussi sérieux que distrayant, In the Heart of the Sea ne méritait probablement pas son échec notable au box-office, mais le fait est qu’il aura bu la tasse : et n’en déplaise à son solide casting et ses beaux atours, nous regretterons surtout ses déficits atmosphériques et narratifs, marque d’un conventionnalisme n’ayant pas sa place dans l’incertitude sauvage des océans.

NiERONiMO
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le 21 juil. 2020

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