Voir et aimer Au-Delà de Clint Eastwood, c'est oublier qui se trouve derrière la caméra. Cesser de considérer le film comme un ovni/chick-flick dans la carrière d'un metteur en scène habituellement obsédé par le classicisme Fordien. Et embrasser un mélo assez terrassant qui, passé le premier quart d'heure, n'abuse guère d'effets spéciaux autres qu'une tendre variation sur le deuil et le rapport à notre condition de mortels.
Bien sur, le film n'est pas parfait mais il ne bascule jamais dans l'étrangeté morbide ni le ridicule. Son principal défaut : ce dispositif très Iñarritu, montage alterné et surimpression de trois parcours, trois personnages de cultures différentes. Tout cela est un peu vain, aucune expérience ne venant clairement illustrer l'autre, et par extension assez peu équilibré. Sans parler du segment français, involontairement comique pour un habitant de l'hexagone, comme il fallait s'y attendre ( cf. le pitch enjoué de Cecile de France sur Mitterrand).
Mais quelque chose survient, principalement grâce à Matt Damon, qui tend de plus en plus à prouver que la palette de son jeu est proprement considérable. Un petit miracle, on parvient à croire au talent "extra" ordinaire du personnage, à son talent de psychic. Pivot du film : Bryce Dallas Howard, qui pendant une bonne demi-heure s'efforce (et réussit) à composer un personnage de potiche tout bonnement insupportable, parvient à convaincre le médium George de lui administrer une reading, une connexion vers les trépassés qui l'entourent. Jusque là curieuse et enthousiaste, son comportement va changer du tout au tout quand George lui révélera que son père est "désolé pour ce qu'il t'a fait quand tu étais petite". Bouleversée, elle quitte l'appartement à la hâte, fond en larme dans les escaliers, pour disparaître de l'existence du médium. Par une mise en scène forte dans son refus d'artifice, par une confiance rare dans ses comédiens (quasiment tout l'aspect fantastique du film passe par le jeu de Matt Damon), Eastwood insuffle une grande crédibilité à son traitement de l'extraordinaire, à cheval entre un classicisme très factuel et un fantastique lo-fi baigné d'un clair-obscur de toute beauté.
Via la passion obsessionnelle du personnage de George pour le grand écrivain anglais, le spectre de Charles Dickens plane allègrement sur le film. Bien sur, on peut y voir cette connexion évidente avec le jumeau british très working-class et son deuil impossible après la disparition de sa moitié. Mais il y'a surement plus : Dickens, maitre en l'art de contrebalancer le misérabilisme par le conte de fée, porte sur ses épaules la très belle relation qu'Eastwood entretient avec l'idée de la mort (qui ne saurait trop tarder dans son cas). En pèlerinage dans la demeure devenue musée de l'écrivain, le personnage de Matt Damon tombe en extase devant une gravure représentant l'auteur entouré de tous les personnages qu'il a crée, flottant tels des spectres. Cette acceptation de la mortalité via la foi en une présence permanente de ceux que l'on a crée/aimé est au centre de ce très beau mélo.
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