Cinéaste oublié, Samuel Fuller mériterait pourtant d'être considéré l'égal des plus grands. Du moins, c'est ce que ce Big Red One laisse à supposer.

On ne compte plus les films sur la guerre 40-45, c'est certain. Il y a même eu plusieurs chefs-d'œuvre parmi eux (Patton, Il faut sauver le soldat Ryan...) et d'autres films de légende (Le jour le plus long, Un pont trop loin...) mais rarement un film aura été aussi grandiose que le film de Fuller. Les raisons ? Peut-être car c'est la guerre dans son ensemble que nous découvrons, et non pas un de ses épisodes, peut-être par son réalisme, peut-être pour cette simple histoire d'amis plongés dans l'enfer de la guerre...

Fuller connaît très bien son sujet : il a lui-même été soldat durant la seconde Guerre Mondiale (où il finira caporal et décoré d'ailleurs). Rien d'étonnant alors de voir un côté réaliste, inhabituel pour l'époque, dans ce film : il s'agit tout simplement d'un récit autobiographique, où l'horreur de la guerre se mélange avec son absurdité, sous les yeux d'un jeune Fuller, interprété par Robert Carradine, fumant le cigare et rêvant d'être le nouvel Hemingway.

Il ne s'agit pas ici de faire dans le réalisme absolu, dans le métaphysique (même si des éléments bibliques peuvent être repérés, comme la punition de Lee Marvin ou l'évocation des 4 cavaliers de l'Apocalypse, entouré constamment par des morts) ou même dans la critique de la guerre (sans pour autant exalter le sentiment patriotique) ; il s'agit simplement de raconter une histoire, un peu folle c'est vrai mais pourtant bien réelle. Et les anecdotes qui jonchent l'histoire (l'accouchement de la française dans un tank) sont aussi surprenantes qu'elles peuvent être métaphoriques (l'attaque de l'asile psychiatrique, miroir de la société).

Le récit, long (2h35) mais riche (on passe des batailles d'Afrique du Nord à celles d'Allemagne et Tchécoslovaquie en passant par la Sicile, l'Italie, la France et la Belgique) est certes violent par moment (les scènes de combat sont d'ailleurs étonnantes, en particulier celle du Débarquement lorsqu'on sait que Fuller avait un petit budget pour ce film) mais n'en est pas moins dénué d'humour, ce qui aide grandement. Et puis Big Red One, qui tire on nom de la compagnie dans laquelle se trouve nos soldats, est tout autant un film de guerre qu'une histoire d'amitié et une réflexion sur le sens même du conflit (Marvin faisant allègrement une distinction entre tuer et assassiner durant la guerre...).

Il y a, dans la mise en scène de Fuller, une volonté d'aller très loin, que l'on sent pourtant freinée et qui ramène la narration à un style presque classique. Pression des studios, qui remonteront le film, ou budget limité, impossible de savoir précisément. Mais au fil du temps, on aperçoit quel chef-d'œuvre aurait pu être le film si Fuller avait pu aller au bout de ses idées et de ses volontés. En dépit, Big Red One surprend par une forme de retenue, où c'est en montrant le moins que l'on ressent le plus, comme lors de cette altercation dans la forêt, envahie par le brouillard. Là où d'autres s'approchent du sommet avec de l'esbroufe (Spielberg), Fuller l'atteint en ne montrant presque rien.

Les comédiens sont par ailleurs excellents, du vétéran Lee Marvin, père spirituel des quatre « gosses » de l'équipe, à Mark Hamill, qui trouve probablement là son meilleur rôle, et un Robert Carradine en Samuel Fuller jeunot. Saluons aussi les moins connus, comme Bobby Di Cicco, Kelly Ward et Siegfried Rauch, qui sont très bons eux aussi.

Beaucoup trouveront ce film un peu dépassé (ce qui est faux), comme l'est Le jour le plus long, mais The Big Red One possède néanmoins un atout que beaucoup d'autres films du genre n'ont pas : une multiplicité des niveaux de lectures. Les interprétations s'avèrent nombreuses et l'on découvre, à chaque nouvelle vision, de nouveaux éléments qui nous avait échappés. Et c'est bien là que réside le génie du film, qui grâce à sa reconstruction (soit le montage initial que voulait Fuller) prouve qu'il est sans conteste l'un des meilleurs films de guerre jamais réalisé.
Cinemaniaque
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de guerre et Les meilleurs films sur l'amitié masculine

Créée

le 20 nov. 2011

Critique lue 387 fois

Cinemaniaque

Écrit par

Critique lue 387 fois

D'autres avis sur Au-delà de la gloire

Au-delà de la gloire
Artobal
9

Fuller la paix

"A film is like a battleground" disait-il. Dans la bouche de tout autre réalisateur, cette métaphore tomberait immanquablement dans le convenu. S'agissant de Fuller, et pour résumer la vie de cette...

le 17 oct. 2022

29 j'aime

Au-delà de la gloire
Ugly
9

A la guerre, ce qui compte, c'est de survivre

J'ai toujours apprécié le cinéma de Samuel Fuller, que ce soit ses polars noirs ou ses films de guerre des années 50, toujours un peu heurtés, humanistes et tragiques. Et ici, alors qu'il n'avait...

Par

le 21 oct. 2016

18 j'aime

11

Au-delà de la gloire
drélium
7

On n'assassine pas ici. On tue.

Ce n'est pas pour rien que ce film est comparé au Soldat Ryan tant il en représente la parfaite version dite brute de décoffrage, faite avec un budget complètement incomparable et délivré par un vrai...

le 16 mars 2011

18 j'aime

12

Du même critique

Frankenweenie
Cinemaniaque
8

Critique de Frankenweenie par Cinemaniaque

Je l'avoue volontiers, depuis 2005, je n'ai pas été le dernier à uriner sur le cadavre de plus en plus pourrissant du défunt génie de Tim Burton. Il faut dire qu'avec ses derniers films (surtout...

le 21 oct. 2012

53 j'aime

2

American Idiot
Cinemaniaque
7

Critique de American Idiot par Cinemaniaque

Il est amusant de voir comment, aujourd'hui, cet album est renié par toute une génération (et pas seulement sur SC)... À qui la faute ? À un refus de la génération née début 90 de revendiquer les...

le 13 janv. 2012

50 j'aime

3

Hiroshima mon amour
Cinemaniaque
4

Critique de Hiroshima mon amour par Cinemaniaque

Difficile d'être juste avec ce film : il faudrait pour pouvoir l'apprécier être dans le contexte socio-culturel de sa sortie, ce qui est impossible à reproduire aujourd'hui. Je distingue relativement...

le 4 juin 2011

49 j'aime

1