oct 2010:

Tout simplement incroyable. Je ne comprends pas que cet admirable film de Fritz Lang ne fut pas distribué en France (sous prétexte qu'il s'agissait d'une série B d'un petit studio?).
Certes le casting est quasi inconnu. Du moins du grand public. Mais quelle photographie! Mais quelle mise en scène! Avec peu de moyens, Lang laisse percevoir l'étendue de son habileté à raconter une histoire.

On assiste là presque à une sorte de remake de "M", avec à l'évidence de grosse différences. A commencer par des différences sociales, en effet. Le meurtrier est le mari d'une riche héritière. Ancien fortuné lui même, il vit aux crochets de sa femme, dans une belle demeure à l'aspect gothique et continue de passer pour un grand bourgeois. On apprend que lui et son frère ont hérité de manière inégale de leur mère. Bref, le film ne nous présente pas un monstre venu du caniveau. "M" était un tueur en série qui souffrait de sa maladie, qui posait un regard réprobateur sur ses propres actes. Ici, le meurtrier ajoute à l'horreur de son crime un cynisme des plus abjects ainsi qu'une imbécillité des plus rédhibitoires. Le personnage est repoussant, physiquement, intellectuellement et moralement. Il n'échappe à aucun défaut. Rien ne le sauve. Le spectateur n'a qu'une hâte : son arrestation ou sa mort.

Louis Hayward incarne un enfant mal vieilli, un inadapté social et affectif en quête d'une reconnaissance toute apparente, un pervers qui désaxe la réalité et les valeurs morales à sa convenance en dépit des dégâts qu'il cause chez les autres. Infecte menteur égocentrique, cette tête à claques ne recule devant aucune vilenie pour fuir ses responsabilités, dans un déni de réalité perpétuel qui finit bien entendu par le discréditer et le perdre. Forcément, sa perversité le rend tellement con. Le "M" de 1931, sans aller jusqu'à parler de "sympathie" avait au moins figure humaine dans sa souffrance. Lui aussi était un enfant, les yeux aveuglés par le feu de son irrépressible besoin de tuer. Celui-là apparait comme un refus d'humanité à deux pattes, une bête bête effrayée par l'éclair de lumière que provoque le saut d'une carpe hors de l'eau, dans un reflet de lune, signe évanescent d'une lucidité à laquelle il ne parviendra jamais à accéder.

Louis Hayward joue ce tueur avec un admirable sens du détail spectaculaire. Lang en maitre des ombres, sculpte son visage dans les ténèbres et sait le rendre peut-être plus effrayant que ne l'avait été Peter Lorre. On retrouve l'animal traqué, terrorisé par les verticales qui semblent l'emprisonner.

La copie du dvd Wild Side est formidable, d'une netteté étonnante. Le plaisir de l'œil est à son comble. Même pas un blu-ray, dites donc!

Fritz Lang reprend sa thématique du fou dangereux, de la peur engendrée, de la peur moteur du crime, du mensonge et du travestissement de la vérité, avec peu de moyens comme le prouve la médiocrité des décors au tribunal par exemple, mais avec toujours autant de maestria et de puissance narrative.

House by the river est un petit chef d'œuvre qu'il convient de remettre à sa place. Je le mets sur un piédestal, parmi mes Lang préférés.
Alligator
8
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le 14 avr. 2013

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Alligator

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