[Article contenant des spoils]
Je n'étais pas allé le voir en salle, la bande-annonce m'ayant un peu rebuté : l'humour de répétition sur "c'est pour ça" comme seul programme, semblait-il. Eh bien pas du tout, même si cette répétition va en effet s'avérer un point faible du film, trop exploitée, finissant par devenir lourde. Depuis j'ai vu Le daim, enthousiasmant, et Quentin Dupieux m'apparaît comme une figure singulière du cinéma français.
On retrouve certaines constantes, qui contribuent à forger un style :
- le goût pour les décors vieux jeu d'abord, avec ce bureau de commissariat au plafond improbable, encombré de vieux ordinateurs, l'oeuvre de la compagne de Dupieux, créé dans les locaux du Parti Communiste !
- la fantaisie et l'humour noir, avec ce jeune flic à l'oeil flouté qui se fiche une équerre dans l'autre oeil par exemple ;
- un talent réel pour des dialogues jubilatoires ; ainsi de ce jeu entre le commissaire et son suspect qui consiste à se reprendre sur des expressions (en revanche, les miches, Quentin, ce ne sont pas les seins, j'ai vérifié dans le dico, ce sont les fesses) ;
- la mécanique de l'absurde, avec ces récits en flash back où les personnages du commissariat viennent s'incruster.
Plus qu'au Garde à vue de Claude Miller, dont il reprend la situation de départ, le film évoque Buffet froid de Blier, jusque dans le site de la Défense choisi pour implanter le drame. Et il semble bien que Dupieux ait repris le flambeau, depuis que son aîné ne fait plus que des comédies "poussives" (je dirais : depuis Trop belle pour toi).
Mais laissons de côté cette filiation pour examiner ce que le film a à offrir. C'est d'abord une performance d'acteurs, et Dupieux l'assume pleinement en transformant le film en pièce de théâtre. Mention spéciale à Grégoire Ludig, qui en fait très peu et est toujours juste. Car, de son côté, Poelvoorde cabotine quand même un max. C'est le problème, commun aussi à des Depardieu, Pierre Richard, Huppert, et de nombreux autres : il ne sait plus faire que du Poelvoorde. Et comme tout le monde se pâme... De fait, il maîtrise son "personnage". Ses mimiques évoquent souvent de Funès, mais aussi Piéplu par moments ai-je trouvé.
Toujours est-il que ça fonctionne superbement. On ne s'ennuie pas, même quand Buron dit qu'il s'ennuie au récit de Fugain (moustache comme Michel F., encore un clin d'oeil vieux jeu). Le récit progresse bien, et Dupieux fait évoluer avec talent la répétition de ses gags (sauf le "c'est pour ça" comme on l'a dit). Cela nous vaut quelques belles idées, comme cette ouverture sur un orchestre dirigé par un chef en slip que poursuit la police. Ou ces deux mensonges en miroir de Buron et Fugain pour gagner le concours de celui qui a eu le plus faim. Ou encore cette équipe de "bras cassés" pris au pied de la lettre, avec un borgne, un estropié, et un commissaire qui fume par un trou dans son corps !
Certains effets marchent moins bien, je pense à Buron sentant le briquet et déclarant "ça sent le cochon fumé" (on le sent trop arriver). Et surtout la fin est un peu en-dessous du huis clos si superbement orchestré. Le coup de "c'était une pièce de théâtre", passe encore, mais la discussion au resto après... Dupieux est toujours sur une ligne de crête, et ce qu'il fait peut facilement basculer dans le lourdingue. Un pari, plutôt sympathique, mais qui n'est pas toujours gagné. Ni franchement "poussif" (le mot est trop fort) ni franchement "génial" (moins que les premiers films de Blier), mais à coup sûr talentueux et inventif.