On avait laissé Albert Dupontel sous les meilleurs augures, avec le César du scénario pour Neuf Mois Ferme (un comble pour celui qui considère l’écriture comme son point faible) et plus de deux millions de spectateurs pour son premier véritable succès populaire. 20 ans après Bernie (1996), l’acteur-scénariste-réalisateur a fait bien du chemin et pour son sixième long métrage, le voici embarqué dans une aventure inédite : l’adaptation d’une œuvre littéraire… et pas n’importe laquelle ! Au Revoir là-Haut, signé Pierre Lemaître, fut en effet un immense succès de librairie (près de 500.000 exemplaires vendus) et accessoirement le Prix Goncourt 2013. Une gageure pour un adepte de scripts originaux. L’œuvre originelle est imposante, importante et brillante. Alors que la machinerie du comédien commençait à ressasser certains schémas narratifs malgré une imagination toujours fertile, c’est donc avec gourmandise mais également les genoux qui tremblent et un poil d’anxiété qu’il se lance dans une aventure où émerge le thème central de son cinéma : les marginaux contre une société spoliatrice en déficit d’humanité. Il rédige une première version en trois semaines, corrige, rature, resserre l’intrigue pour arriver à une treizième mouture qui reçoit le satisfecit de l’écrivain. Les choses ne se simplifient pas pour autant. Avec un budget de 18 millions d’euros, le réalisateur s’embarque dans une aventure trois fois plus onéreuse que d’habitude. Un véritable barnum avec sa flopée d’acteurs, de figurants, de costumes, de décors et une batterie d’effets spéciaux ad hoc.


Pour raconter le destin d’Edouard Péricourt (Nahuel Perez Biscayart), dessinateur de génie et gueule cassée au sortir des tranchées, d’Albert Maillard (Albert Dupontel), comptable devenu paranoïaque et du lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle (Laurent Lafitte), féru de guerre au point de tirer dans le dos de ses propres hommes pour lancer une offensive, il fallait un sens du récit romanesque, feuilletonesque. Sous ses airs timides d’enfant terrible du cinéma français, directeur d’acteurs impressionnant (les seconds rôles sont aussi bien tenus que les premiers), Albert Dupontel cache un cinéaste ambitieux, prêt à se lancer dans la grosse machinerie, dans la reconstitution historique sur fond de discours politique toujours d’actualité (la soirée de l’exécution factice des responsables désignés de la « grande » guerre). Choix risqué mais idéal, Au Revoir Là Haut est un roman assez habilement descriptif et caustique pour lui permettre de jouer sur les tableaux de l’émotion sans jamais oublier son sens du potache, du trash et du décalé. Pour faire court, son adaptation ne se cantonne pas à une simple mise en image qui effacerait la personnalité « radicale » de son auteur derrière l’original. Elle vient plutôt épouser les contours d’une œuvre cinématographique façonnée autour des désaxés, des déclassés. Le film ruisselle toujours l’influence, visuelle surtout, de Terry Gilliam, des frères Coen, de Caro / Jeunet et d’une tripotée de cinéastes des années 80 qui jouaient habilement avec la caméra sans oublier le discours tel ce plan séquence bluffant où l’on suit les pérégrination d’un chien sur un champ de bataille, jusqu’à la tranchée où se trouvent les héros. Cette affection pour les cadres alambiqués (on se souvient du ballon d’Enfermés Dehors) reste l’un des axiomes du réalisateur, à la fois sérieux et cartoonesque. Comme un stylo visuel qui prolongerait un scénario dont on pourra toutefois reprocher le goût prononcé pour les deus ex machina. Quoi qu’il en soit, le cinéma d’Albert Dupontel s’avère ici particulièrement graphique (la tête à tête avec le cheval mort), composé et immersif.


Cette histoire de deux Poilus traumatisés entremêle ainsi le tragique et la comédie, le drame et l’action avec une constante justesse de ton bien que nous restions dans les arènes d’un conte (l’histoire se déroule à travers des flash-back) grotesque, satirique, tragique et dérisoire mais constamment baignées d’excentricité. Le personnage d’Edouart Pericourt se trouve ainsi au confluant de nombreuses révolutions artistiques (cubisme, surréalisme etc.) qu’il transpose à travers des masques flamboyants qui remplacent la parole arrachée, perdue et permettent au seul regard de Nahuel Perez Biscayart d’en dire plus qu’un long discours. Il réconcilie alors génie artistique et grande conscience de son époque. De notre époque. Sa complicité évidente avec la jeune Héloïse Balster (Louise) pousse même le film sur les terres d’un sensible jusque là peu exploré par le cinéaste. Comme le roman, la fin (modifiée pour des raisons narratives évidentes) n’évite pas un surplus de pathos inutile mais qu’importe ! Les choix poétiques, totalement assumés, continueront de palpiter longtemps après la projection. Au Revoir Là Haut avance ainsi masqué. Si les aspérités corrosives du style Albert Dupontel sont partiellement gommées, c’est avant tout pour emporter le spectateur. Les trésors d’imagination déployés dans ce grand spectacle à la fois subtile et gracieux en sont la récompense.


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le 23 oct. 2017

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