Albert Dupontel est un homme à part dans le paysage cinématographique français. Au cours de sa carrière il a développé un univers où l'imaginaire débordant fait la part belle aux marginaux, aux « pas comme les autres ». Au revoir là-haut est en quelque sorte l'aboutissement (jusqu'à son prochain film du moins) de cet univers. Adapté d'un roman de Pierre Lemaître, prix Goncourt 2013, Au revoir là-haut suit deux personnages depuis leur rencontre dans les tranchées de la première guerre mondiale. Tous deux sont traumatisés par la grande guerre (qui n'avait de grand que le nombre de victimes), l'un devenu gueule cassée, l'autre étant incapable de se réadapter après les horreurs vécues sur le front. Ils décideront finalement de se venger des coupables de ces traumatismes grâce à une arnaque aux monuments aux morts.
Au revoir là-haut est donc, vous l'aurez compris, un film résolument pacifiste. La guerre y est montrée dans toute sa cruauté et surtout son cynisme. Sur le front d'abord, lorsque le lieutenant Pradelle envoie sciemment les soldats se faire massacrer peu de temps après l'annonce de l'armistice. Sur le chemin du retour ensuite quand des soldats mutilés en sont réduits à se faire passer pour mort pour éviter d'affronter le regard de ceux qui les avaient connus avant. Dans la vie qui attend les anciens soldats après leur retour enfin. Cette vie n'a rien d'une récompense pour avoir survécu à la guerre. Bien au contraire, les survivants sont marginalisés, exclus de la société dans son ensemble (à commencer par leur ancien emploi) et en sont réduits au marché noir et au vol pour obtenir les produits de première nécessité, en particulier les médicaments. Mais la guerre est aussi profondément inégalitaire : les plus haut placés dans l'échelle sociale, ici présentés comme des prédateurs, ne sont aucunement touchées par ces conséquences et font au contraire des profits indécents sans jamais être inquiétés pour leurs responsabilités dans le déclenchement du conflit.
Malgré tout Albert Dupontel fait preuve de beaucoup de délicatesse pour traiter des sujets si graves. Les conséquences dramatiques de la guerre sont toujours suggérées, jamais montrées directement. Elles apparaissent au coin d'un plan ou au détour d'une discussion. Elles servent de cadre à l'histoire et sont omniprésentes sans jamais être oppressantes. En effet, c'est ici que l'univers de Dupontel entre en jeu. Cet univers bercé d'imaginaire alimente plus que jamais une ode aux exclus et à leur faculté d'adaptation dans les contextes les plus difficiles. Edouard Péricourt, artiste de génie mais incompris par sa famille, défiguré à vie par un éclat d'obus, trouvera dans son art l'échappatoire vers une nouvelle vie. Véritable tête pensante du duo ses dessins formeront la base de l'arnaque aux monuments aux morts tandis qu'il trouvera dans les masques de nouveaux visages. Albert Maillard n'est pas en reste, lui qui sera prêt à tous les sacrifices pour protéger son ami et lui fournir ce dont il a besoin pour leurs projets. C'est grâce à cette imagination débordante qu'ils puniront, à leur manière, les criminels de guerre : tous ceux qui ont décidé la guerre ou en ont bénéficié, d'une manière ou d'une autre.
Mais ce qui marque le plus dans le film c'est surtout l'onirisme dont il est empreint. Si l'ambiance post-première guerre mondiale n'est jamais pesante, si le scénario ne se réduit pas à une simple opposition entre gentils gens du peuple et méchants dirigeants sans vergogne, c'est surtout grâce à l'onirisme. Les masques portés par Edouard Péricourt sont tout simplement magnifiques et sont parfaitement mis en valeur. Tour à tour joyeux ou tristes, merveilleux ou terrifiants, ils donnent au personnage ce qu'il avait perdu pendant la guerre : un visage. Un visage et tout ce que ça implique d'émotions transmises. Ces masques sont donc l'élément essentiel de cet onirisme, mais ne sont pas le seul. Le jeu d'acteur y est également pour beaucoup : Albert Dupontel en particulier, comme à son habitude, donne à son personnage d'Albert Maillard quelque chose d'irréel, un mélange de naïveté et de débrouillardise qui nous le rend immédiatement attachant. Enfin les décors servent parfaitement le propos du film par leur réalisme lors de la guerre puis par le décalage entre le manoir luxueux de la famille Péricourt et la masure délabrée où nos héros sont contraints d'habiter. Ce décalage rajoute à l'onirisme car cette masure apparaît étonnamment plus vivante tant les personnages ont une capacité à l'habiter et à l'animer.
Au revoir là-haut est une pièce unique dans le cinéma français. Un petit bijou de 2h qui vous emportera avec lui dans un univers débordant d'imagination, frôlant parfois la frontière entre le rêve et la réalité. Les deux personnages s'élèvent par leur beauté et leur grandeur jusqu'à se confronter à l'amère réalité. Alors, accablés par le désespoir, il ne leur reste plus pour préserver leur fierté qu'à se tourner vers ceux qui les ont méprisés et leur déclarer haut et fort « au revoir là-haut ».
Iorveth
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le 18 nov. 2017

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