Je tiens à rappeler qu'Albert Dupontel est, en plus d'être un acteur d'exception, un des réalisateurs français actuels à mieux maîtriser la technique. Il ne fallait pas attendre ce film pour le savoir, toutes ses œuvres précédentes en sont autant de preuves, mais il le confirme ici plus que jamais. Et il révèle ici (si on fait abstraction de son premier film, le court-métrage Désiré, qui se passe dans le futur, tous ses autres œuvres se déroulent à notre époque !) un talent tout aussi incontestable pour la reconstitution, celle d'une période assez méconnue et peu abordée, à savoir les années difficiles, après 14-18, de réadaptation à la vie civile pour les anciens soldats, pour qui tout a inévitablement changé.


Par le choix de ce sujet (ou de ce roman !), on a aussi confirmation que Dupontel a laissé complètement tomber le nihilisme pour adopter définitivement l'humanisme.


Les masques utilisés dans le film ont donné lieu à une avalanche d'éloges, c'est entièrement mérité. Ils sont magnifiques, ils sont fascinants, ils sont marquants, c'est du grand art. Chapeau !


Tant qu'à parler de masques, l'affiche est très belle aussi. A une époque où on se contente généralement d'un visuel photographique plat, laid, sans le moindre contraste, ultra-photoshopé, voir une aussi belle affiche fait plaisir.


La distribution est impeccable. Albert Dupontel, bien sûr, Laurent Lafitte, surprenant et détestable à souhait dans le rôle d'une ordure, Nahuel Pérez Biscayart, qui se démerde pas mal malgré la contrainte de porter sans cesse des masques, Niels Arestrup, Émilie Dequenne, Mélanie Thierry, les fidèles des fidèles, Michel Vuillermoz et Philippe Uchan, ce dernier apportant quelques touches bienvenues d'humour, en maire particulièrement doué pour la stupidité et le lèche-bottisme. Que du bon !


Malheureusement, il y a un problème de taille qui gâche un peu le plaisir.


Le film se regarde très bien. C'est dense. Les rebondissements sont nombreux. On ne s'ennuie pas une seule seconde. Il y a des séquences incroyables, le premier quart d'heure dans l'enfer des tranchées, la fête très Années folles où les "grands héros" du conflit sont ramenés à leur véritable médiocrité humaine, les retrouvailles dans la suite du palace (même si j'ai une réserve pour cette scène précise sur laquelle je vais revenir plus tard !). Mais, une fois la vision aussi intense qu'agréable de l'ensemble passée, retour à la réflexion et à l'analyse à froid.


Je n'ai pas lu le livre de Pierre Lemaitre, mais je pense (peut-être que vous allez me contredire, peut-être que je suis en train de dire des bêtises pour ce qui est de l'adaptation, si c'est le cas, désolé !) qu'il avait donné de la matière pour faire quelque chose qui puisse très bien tenir sur une durée de trois heures, voire plus. Ce qui me pousse à dire cela, ce sont les personnages. Certains n'ont pas vraiment le temps d'être bien creusés, la plupart des relations entre eux sont à peine esquissées.


La romance entre la jeune bonne et le protagoniste, balancée en deux-trois scènes et à la fin, on la retrouve avec lui au Maroc ; ce qui n'a pas la moindre cohérence avec la séquence dans laquelle on a vu ce personnage féminin pour la dernière fois auparavant. Le couple entre la riche sœur du "défunt" (Emilie Dequenne, clairement sous-employée par rapport à son immense talent !) et l'ordure, voilà une bonne occasion qui aurait pu montrer une autre facette de celui-ci, en faisant comprendre que celui qui écrase, sans cesse, les autres peut aussi être écrasé par plus puissant que lui. C'est dommage qu'on ne les voit que lors d'un seul échange en tant que mari et femme. Et je ne parle même pas de ce même antagoniste avec son beau-père.


Mais ma plus grosse réserve, c'est pour les retrouvailles entre le père et le fils. C'est poignant comme jamais. C'est même le moment qui m'a le plus touché de tout le film. En fait, c'est la conclusion de cette scène qui me dérange. Pourquoi ce suicide ? Je ne vois pas du tout ce qui peut le pousser à se mettre fin à ses jours. Je crois que Dupontel voulait juste choquer, réaliser un grand moment de cinéma en filmant une chute, en dépit de toute vraisemblance. Peut-être que cette vraisemblance aurait été possible, si cela avait été mieux développé en ce qui concerne les motifs de cet acte tragique.


Donc, le gros problème, c'est que mettre en scène un film d'environ deux heures avec de quoi faire confortablement trois heures ne peut qu'aboutir à un résultat un poil frustrant. Frustration en rien arrangé par les grandes qualités de cette oeuvre. Je pense que cette fresque sociale et historique aurait pu donner quelque chose de véritablement formidable si elle avait duré plus longtemps. S'il y a eu des scènes coupées, je ne serais pas contre une bonne version longue.

Plume231
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le 13 oct. 2020

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Plume231

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