Empathie, humanité, altruisme, sensibilité, génie

Au seuil de la vie, petite pépite de Bergman située intégralement dans une maternité, avec le lot d'affres que représente le milieu hospitalier. Du haut de ses modestes quatre-vingts minutes, le film fait comme un écrin à la sensibilité hors-normes du réalisateur. Sérieusement, quel genre d'homme est capable de faire un film entier autour du thème de la grossesse, de la fausse couche et de l'accouchement ? Quel genre de tête faut-il avoir pour savoir si bien capter les tourments de l'esprit qui accompagnent ces tourments des entrailles ? Et qui suis-je pour dire que c'est réussi ? J'ai au moins la réponse à cette question : je suis un spectateur comblé.


Il peut paraître bizarre que je dise avoir adoré voir trois femmes souffrir pendant plus d'une heure, sans cadre modérateur – les infirmières et les médecins sont humains, mais professionnels aussi. Leurs personnages sont si bien écrits qu'il ne viendrait à l'idée de personne de s'y raccrocher pour se sentir mieux. Mais l'œuvre est si pleine d'empathie qu'on s'en fiche. Bergman était plus humain que l'humain, et son humanisme transpire tant que cela rend sa création confortable.


La caméra est peu mobile, mais le réalisateur fait corps avec elle. Rarement un réalisateur a-t-il été acteur de son film sans jamais y apparaître ! Je vais me permettre une incise technique dans le lyrisme de ma critique (il faut bien justifier le rarissime 10/10 !) : un procédé plutôt rare à l'époque est largement utilisé pour illustrer la cause (B) de l'expression des personnages (A). Il s'agit du montage ABA, sans mauvais jeu de mots sur le fait que le film est suédois : on voit l'expression, puis sa cause, puis l'expression de nouveau. On croirait que c'est utilisé pour préserver au maximum le jeu surhumain des interprètes féminines, dont les monologues sont parfois longs et chargés d'émotions fortes. Encore une touche de la sensibilité à la Bergman ?


Et puis la deuxième lecture ne laisse rien au hasard non plus. Il m'est venue une comparaison très forte que je ne dois qu'à Bergman, même si sa suggestion n'en était pas voulue : j'ai vu ces femmes dans leurs chambres d'hôpital comme des condamnées à mort, parce que la vie les quitte littéralement lorsque se produit l'accouchement, que les conditions soient normales ou non. Et j'ai vu leur courage plus clairement qu'un blockbuster américain me le suggérera jamais.


Je n'irais pas jusqu'à dire que le film est agréable à voir (il nous met presque devant un dilemme : est-on captivé par la beauté ou la morbidité ?), mais s'il y a bien un film qui prouve que le génie peut créer spontanément le plaisir d'un visionnage, c'est bien celui-ci.


Quantième Art

EowynCwper
10
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le 5 juil. 2018

Critique lue 317 fois

Eowyn Cwper

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