Corps Secoué sous les Frustrations du Cœur

Premier long-métrage, ambitieux, de la jeune Alice Winocour, Augustine met en scène le professeur Jean-Martin Charcot à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière lors de ses recherches autour de l’hystérie, et s’intéresse plus particulièrement à la relation privilégiée qu’il octroie à l’une de ses patientes. Loin du film clinique, loin de la romance aussi, la réalisatrice y raconte alors



l’émancipation difficile et perturbante d’une jeune domestique,



classe pauvre, au XIXème siècle, à travers le regard enfin intéressé d’un homme.


La sombre séquence d’introduction est déjà saisissante autant formellement que dans le fond qui raconte en violence sourde les mentalités rétrogrades et obscures d’une époque peu disposée à supporter les bassesses animales de la femme : la jeune Augustine, domestique de maison, ne peut retenir la crise brutale qui la cloue au sol en plein service, arrachant le repas de ses employeurs et de leurs invités, faisant spectacle abjecte de son corps devant la bonne société qui termine de la calmer avec un broc d’eau méprisant.
L’ambiance est posée, le désespoir désemparé de la jeune héroïne également.


Victime d’une hémiplégie éphémère qui lui colle l’œil droit, Augustine va donc consulter et se retrouve alors internée dans le service de recherche sur l’hystérie de l’hôpital parisien, intégrant la réserve féminine des objets d’étude de l’illustre professeur Jean-Martin Charcot, dont elle devient bientôt le cas favori.


Il y a un magnifique travail sur l’image. Georges Lechaptois, le jeune directeur de la photographie assume pleinement



l’atmosphère sombre, dense et diffuse,



qui rappelle le classicisme flamand des XVIIIème et XIXème siècle, pour intégrer le récit à son époque dans un naturalisme du réel proche de ses personnages : la sensualité, sous un jour sombre et analytique, en est froide, et les liens se construisent alors dans les regards et dans les silences.


Objet d’expérimentation autant que de fascination, Augustine interroge le docteur dans son rapport à ses malades en ce sens qu’elle se libère elle-même de ses angoisses, et par-delà de ses crises, en allant au bout du fantasme pour atteindre sa guérison. Là où le médecin l’accompagne, la patiente n’hésite jamais à remettre en questions les certitudes intimes et professionnelles de son bienfaiteur, quand bien même celui-ci doit les défendre avec aplomb face à ses collègues de l’Académie des Sciences. Sans statuer définitivement sur les causes de l’hystérie, le métrage s’attarde sur l’histoire personnelle de la malade pour raconter



les symptômes exacerbés d’une rage sensuelle



qui découle d’un isolement intime, d’une solitude de frustrations, et qui s’éteindra quand la jeune femme, à travers le regard attentif de son guérisseur, se libèrera enfin dans l’amour et dans la chair offerte.


Un mot sur les comédiens, pour attester du professionnalisme habituel de Vincent Lindon, impliqué en bloc dans son personnage d’obsessions abstraites, toujours impeccable, et de la sympathique prestation de doutes de Chiara Mastroianni. Pour souligner surtout l’incroyable implication de SoKo, qui porte le film en râles et en courbes, l’œil de vérité à chaque instant,



entre retenues crédules, naïves presque, et emportements du corps frémissant.



N’en suis pas surpris au vu de ses précédents rôles, mais l’impact est fort et la jeune comédienne confirme combien son talent est inestimable.



Premier long-métrage aux défauts de son ambition,



Augustine séduit par de nombreux aspects formels mais n’emporte pas le spectateur pour autant : le récit reste large et indistinct, effets de tons, quand le message, finalement, se réduit à une banale histoire d’amour, de contact, mal amenée. Il manque un petit quelque chose au scénario pour emballer la narration en lui donnant un sens profond, l’ensemble n’a ni l’impact nécessaire à la transcendance ni le texte clair et fluide. Au contraire, ambiance sombre et feutrée, Alice Winocour fait preuve de belles idées, maîtrise son récit autant dans le rythme que dans l’image, mais oublie d’appuyer le message, d’illuminer son histoire, et laisse alors le spectateur un peu perdu en fin de séance face à



un objet séduisant mais encore trop imprécis.


Créée

le 27 févr. 2017

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