Des crabes à l'agonie dans une marmite d'eau bouillante. Voilà comment débute " Augustine " d'Alice Winocour. L'histoire de l'agonie d'une femme atteinte d'hystérie dans un monde qui la considère au mieux comme un sujet d'expérience, au pire comme une sorcière. Le premier long métrage de la réalisatrice qui a pourtant déjà bien côtoyé le milieu en tant que scénariste (Home d'Ursula Meier en 2008 ou Ordinary People de Vladimir Perisic en 2009). Le rapport de l'être à son milieu est déjà amorcé dans ce dernier scénario bien qu'ici elle a pu faire ses preuves en tant que réalisatrice. Alice nous introduit donc au personnage d'Augustine (jouée par Soko) servante d'une famille de classe élevée, se faisant interner dans l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à la suite de crises d'hystérie. Complètement déboussolée, elle se raccroche à sa seule chance de s'en tirer, le professeur Charcot (Vincent Lindon), spécialiste de sa pathologie. Ce dernier, en lutte pour la reconnaissance de ses recherches sur l'hystérie par ses collègues de l'académie, va voir Augustine comme un cas des plus intéressants capable de capter l'attention de ses congénères. Commence alors un lien plus fort que simple rapport patient/docteur, le désespoir d'Augustine par rapport à la maladie comme celui du professeur quant à ses recherches va engendrer une dépendance des deux protagonistes.
Au départ, Augustine, perdue dans cet hôpital et en proie à une certaine panique vis-à-vis de sa maladie, n'arrive plus à tout situer. Sa place n'est pas réellement ici, entourée de toutes ces folles. Les plans flous se succèdent, mettant en scène profusions de malades à pathologies totalement différentes. Chaque malade a sa particularité, mais l'étagement de patiente dans chaque plan ne fait que les souder en une somme d'internées. Elle se retrouve encore plus rejetée qu'en tant que bonne dans son ancienne famille. Cette situation ne l'aide d'ailleurs pas à se rétablir, une fille lui explique que prier ne servira à rien, personne ne l'entendra ici. Elle s'accroche tout de même à l'image, qu'elle entrevoit dans les couloirs de Pitié Salpêtrière, du professeur Charcot. C'est d'ailleurs leur rencontre, suite à une énième crise de sa part, qui mettra fin à ce premier acte flou et désemparé. Cet homme va tout faire pour l'en sortir, mais aussi en profiter pour s'en servir de cobaye. Là s'amorce un triangle amoureux et fortement vicieux entre Augustine, le professeur et la maladie. La patiente ne peut se raccrocher qu'à sa seule porte de sortie. Sans lui, elle n'existe pas, se privant même de manger pendant son absence. Charcot, lui, ne tente pas spécialement de la sauver, bien au contraire, son but est plutôt de s'en servir pour mener à bien ses études. L'enjeu est à une plus grande échelle pour lui, pouvoir soigner cette maladie pour un plus grand nombre de cas.
Cette passion triangulaire va finir par éclipser la femme du médecin, le personnage de son collègue, ainsi que toutes les autres malades que nous verrons témoigner de leurs pathologies en plan fixe à six reprises.
La maladie, quant à elle, contribue essentiellement à la découverte pour Augustine de sa condition de femme. Le premier amour, le début des menstruations (dont elle ne connaissait même pas l'existence), les rêves érotiques, le premier coït... Ce qui va d'ailleurs attirer le professeur. La vision de cette crise d'hystérie orgasmique devant tous ses collègues, le sein de sa patiente pendant son sommeil (évoquant un certain fantasme : est-ce elle qui dors ou lui qui rêve ?), le premier vrai contact lorsque d'un soubresaut elle s'accroche à lui dans son sommeil. Ceci va accroitre tout au long de la deuxième partie la considération du professeur pour sa patiente. C'est lorsque la jeune femme commencera à se poser des questions sur ces recherches que nous comprendrons explicitement l'enjeu de cette relation. Ouvrant un livre de Charcot exposant des croquis de cadavres qu'elle dira innocemment " Il n'y a pas d'amour dans votre livre ". C'est pourtant de la maladie d'amour que nous parlons. Un amour aussi passionnel que destructeur. Elle n'est par ailleurs (d'après les connaissances du scientifique) soignable que "par un grand choc émotionnel.
Le professeur décrochant enfin une ouverture à l'académie pour un cours sur la maladie d'hystérie, on prépare Augustine pour l'événement. Elle est prise d'une peur panique d'être exposée en public comme un animal (c'est d'ailleurs à cela que la compare Charcot lors d'une séquence dans son bureau en compagnie de son singe domestique et de sa patiente. Un plan sans profondeur de champ met au même niveau les trois personnages en gros plan exposant ainsi parfaitement le triangle désastreux.). La pauvre, fugue, terrorisée et fini sa course en tombant dans un escalier. La peur de la mort va la délivrer de cette emprise. Là commence le troisième acte. Ne voulant pas décevoir cet homme qui a tant fait pour elle, lui avouant que sa maladie a disparu, elle jouera tant bien que mal une crise d'hystérie devant son public telle une comédienne au théâtre. Cette preuve d'amour explosera finalement lorsque Charcot finira par lui faire l'amour passionnellement dans son bureau. Il lui prouvera son amour, mais de façon hystérique là aussi. On comprend alors que même si la pathologie est partie, leur amour ne peut être que maladif et destructeur. La survie d'Augustine sans sa maladie ne peut se faire que loin de l'homme qui l'a soignée.
Cette vision originale du triangle amoureux est parfaitement mise en scène par cette nouvelle réalisatrice qui a su diriger ses acteurs avec une grande précision. La prestation de Soko pour ce film est époustouflante de par la justesse de son ton comme par l'expression de sa maladie. L'apogée de son jeu se situant devant l'académie où elle réussit une mise en abime fort intéressante. Quant à Vincent Lindon il ne faillira pas à sa réputation et se vêtira sans problèmes le costume du professeur. Il n'y a plus qu'à espérer que Winocour continue sur sa lancée.
QuentinW
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le 8 janv. 2013

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